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19/5/09 Jean-Louis Caccomo

Ces petits singes qui ont inventé le capitalisme

L’innovation a sans cesse remodelé le tissu économique et l’ensemble de la société. Ce n’est pas un phénomène propre à notre époque mais inhérent à la nature humaine. En effet, à l’échelle de l’humanité, notre époque moderne, marquée par l’accélération indéniable du rythme de l’innovation technologique, n’est que la partie visible d’un iceberg immense dont il reste tellement à apprendre. Notre époque moderne n’est pas si originale. L’époque préhistorique elle-même est déjà marquée par l’innovation. Et quelles innovations ! Les pré-humains, à leur manière, ont innové pour survivre. Ils n’avaient pas le choix face à une nature hostile. De plus, leurs innovations furent radicales car ils avaient tout à apprendre en inventant l’humanité.

La première innovation radicale fut sans doute liée à un changement d’habitat. Nous savons aujourd’hui que nos lointains ancêtres furent probablement de petits « singes » vivant dans les arbres. Poussés par l’instinct de survie, et peut-être déjà par la curiosité, ces derniers ont dû un jour conquérir les plaines en quête de nourritures et d’espace vital. Ce faisant, ils inventèrent la bipédie, la station debout permettant de voir au loin en se dressant au-dessus de la végétation pour se protéger des prédateurs. La deuxième innovation, tout aussi essentielle, a concerné le régime alimentaire. D’abord exclusivement végétariens, nos ancêtres pré-humains sont devenus charognards. Puis, ils ont appris à chasser pour se nourrir de viande fraîche. Enfin, ils ont domestiqué le feu et fait cuire la viande. A chaque étape, ils ont dû aller contre leur nature première ou leur tradition en innovant de la sorte. Ou alors c’est bien la nature créatrice, mais tellement singulière, de l’homme qui s’exprimait déjà. En tout cas, le hasard combiné à la nécessité, l’expérimentation combinée à la prise de risque, ont permis ces innovations fondatrices de la civilisation elle-même.

La maîtrise du feu, l’invention du langage parlé résultant de la maîtrise progressive de cris et de sons spontanés, la fabrication des outils, l’invention de l’écriture qui donne naissance à l’histoire, la découverte de la roue, puis l’invention de la monnaie, du calcul…tous ces événements fondateurs et fondamentaux ont marqué cette épopée humaine principalement basée sur l’innovation et sa diffusion irréversible autant qu’irrépressible.

A ces époques si reculées à nos yeux d’hommes modernes, l’être humain, et sans doute quelques individualités plus entreprenantes que d’autres, se distinguent des autres espèces animales par leur soif d’apprendre qui les pousse à faire des expériences bizarres. C’est cet apprentissage basé sur l’expérimentation qui aboutit à l’innovation, nourrissant un processus d’accumulation du savoir et des techniques, qui nous vient de la nuit des temps.

Ce processus n’a donc pas commencé à la révolution industrielle. A partir du moment où ce processus fut enclenché, il ne s’est plus jamais interrompu. Mais, s’est-il récemment accéléré ? Le phénomène de l’accélération est-il lui-même récent ? En fait, l’apprentissage s’est toujours accéléré… Avec l’invention de l’écriture, chaque génération pouvait transmettre, avec une plus grande efficacité, son héritage intellectuel et culturel aux générations qui suivaient. Ce fut déjà un fabuleux coup d’accélérateur.

De milliers d’années, l’évolution technologique, économique et sociale s’est alors déclinée en siècles. Chaque grande civilisation (grecque, romaine, chinoise, arabe, européenne…) a alors participé à la conservation et à l’évolution des mathématiques et des sciences. Et les travaux les plus récents des historiens montrent que le « Moyen-âge » européen ne fut pas la période noire et figée que l’on a bien longtemps voulu voir.

Le phénomène d’accélération n’est pas propre à notre époque moderne. Il est contenu dans le processus d’apprentissage lui-même. En fait, au lieu de parler d’accélération, il faudrait utiliser le terme plus exact de « capitalisation » : l’accumulation et la transmission des connaissances acquises par les générations précédentes est un processus de « capitalisation » au cœur du développement économique.

Plus on sait et plus on apprend vite. Il a fallu des milliers d’années aux pré-humains pour devenir véritablement humains. Avec l’écriture et les outils, les évolutions s’accélèrent. Le pré-humain a mis des milliers d’années à inventer le langage. Les enfants humains apprennent à parler au bout de 2 à 3 années. Ainsi, les apprentissages se transforment en acquis irréversibles, s’inscrivant dans la culture et l’héritage génétique des hommes.

Ce faisant, ils forment le capital humain dont les théories modernes de la croissance ont redécouvert la contribution essentielle et inestimable à la croissance économique et l’évolution des sociétés. Finalement, l’innovation n’est pas une caractéristique propre à la société moderne ou à ce que les auteurs ont désigné comme étant le capitalisme, si l’on veut bien donner une définition plus épurée, et somme toute plus rigoureuse, du capitalisme comme désignant le mode d’accumulation de toute forme de capital.

De ce point de vue, l’apprentissage et l’innovation constituent les modalités de l’accumulation du capital humain, ce dernier étant à la base de toutes les autres formes de richesses (financières, matérielles, intellectuelles ou culturelles). Alors, l’innovation s’inscrit au cœur même de la nature humaine et de son épopée, au-delà de la diversité nécessaire mais apparente des systèmes économiques auxquels elle aura donné l’impulsion.

Jean-Louis Caccomo

 

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