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3/7/09 Marc Mennessier

AZF : quatre mois de débats pour rien !

Le rideau vient de tomber sur le procès de l’explosion de l’usine AZF, l’un des plus longs de l’histoire récente : plus de quatre mois d’audience et au moins autant avant de connaître le jugement du tribunal correctionnel de Toulouse qui ne sera rendu que le 19 novembre prochain.

Comme on pouvait le redouter, ce procès « hors normes », « historique », « exceptionnel », selon les superlatifs utilisés ça et là dans la presse, n’a pas permis, loin s’en faut, d’élucider les causes de cette explosion majeure, qui a provoqué officiellement la mort de 31 personnes, le 21 septembre 2001 dans l’usine chimique de Grande Paroisse, filiale de Total, à Toulouse.

Au terme de 400 heures de débats fleuves, parfois captivants, souvent soporifiques, la thèse soutenue par l’accusation d’un mélange involontaire entre deux produits incompatibles (le DCCNa et le nitrate d’ammonium stocké dans le funeste hangar 221), reste toujours aussi improbable.

Dans une lumineuse intervention, Monique Mauzac, professeur de chimie à l’université de Toulouse, dont le mari, ingénieur à AZF, a perdu la vie dans l’explosion, a démontré que ce scénario inventé sur mesure par les experts judiciaires, ne tenait scientifiquement pas la route.

Spécialiste mondialement reconnu de la chimie du nitrate d’ammonium, le professeur Georges Guiochon, venu spécialement des Etats-Unis pour témoigner à la barre, a tenu à peu près le même langage. La presse, et notamment l'Agence France Presse dont c'est le rôle, ne s’en est guère fait l’écho. Mais depuis huit ans que dure cette comédie, on commence à être habitué…

Les salariés de l’usine qui sont intervenus dans le hangar peu de temps avant le drame ont planté plus que des banderilles dans ce "prêt-à-penser" chimique : absence d’eau sur le sol du sas d’entrée au bâtiment 221 (or l’eau est indispensable à la réaction), disposition erronée des différents tas de nitrate présents dans le sas (indispensable pour que la fameuse « chaîne pyrotechnique » s’allume), distance entre le muret et le tas principal de 300 tonnes incompatible avec une transmission par « sympathie », etc.

Sans oublier les analyses montrant qu’il n’y avait pas de DCCNa sur le sol du bâtiment où a été confectionné le chargement déversé dans le hangar 221 vingt minutes avant l’explosion. Quant au fameux tir 24, censé reproduire la détonation meurtrière et qui a beaucoup marqué certains esprits impressionnés sans doute de voir pour la première fois, ailleurs qu'au cinéma, le film d’une explosion, il a été réalisé dans des conditions fort éloignées de celles qui régnaient dans le bâtiment 221, le matin du 21 septembre. Sa pertinence, eu égard à la chose jugée, est donc nulle. En outre, les experts judiciaires n’ont pas trouvé utile de procéder à un nouveau tir. Or la reproductibilité d’un résultat est à la base de la démarche expérimentale…

En dépit de ces incohérences, déjà connues bien avant le procès, le ministère public a requis, sans surprise, trois ans de prison avec sursis et 45.000 euros d'amende contre Serge Biechlin, l’ancien directeur de l’usine et 225.000 euros d’amende contre la société Grande Paroisse. Dans un interminable réquisitoire qui a duré près de huit heures, le procureur de Toulouse, Patrice Michel a invoqué "un dysfonctionnement grave dans la gestion des déchets et le recours à la sous-traitance » ainsi que « le croisement de produits incompatibles". Sans établir à aucun moment la preuve que ces éventuels dysfonctionnements aient pu avoir un lien causal avec l’explosion. Sauf à accepter l’idée que l’on puisse condamner aujourd’hui quelqu’un, non plus sur une preuve mais sur une probabilité, une présomption, pour ne pas dire un parti pris.

Ce réquisitoire bien peu convaincant a été accueilli avec si peu de distance critique par les journalistes (y compris au Figaro) que beaucoup de gens ont cru de bonne foi que « Total a été condamné », comme j’ai pu le constater à maintes reprises ces derniers jours. Certains confrères ont même affirmé que le parquet avait requis des peines maximales à l’encontre des prévenus. Ce qui est faux puisque le code pénal prévoit de la prison ferme pour ce type d’infractions, or le procureur n’a demandé que de la prison avec sursis contre Serge Biechlin…

Au fond la seule véritable surprise de ces débats aura été l’étonnante capacité des experts judiciaires à défendre, envers et contre tout, leur indéfendable explication. Je pensais qu’ils ne tiendraient pas la distance et qu’ils s’effondreraient avant la fin du procès. Je les ai sous-estimés sur ce point, dont acte. Mais cela ne rend pas leur travail plus crédible pour autant ! De plus, le soutien constant dont ils ont bénéficié de la part de l’accusation, des avocats des parties civiles et, ce qui est moins pardonnable, des médias, leur a incontestablement évité de plonger définitivement le nez dans l’ornière.

Sans parler des menées du ministère public pour instiller le doute sur la sincérité des prévenus avec le prétendu « rapport caché » du détonicien du CNRS, Michel-Henri Presles. Quelques semaines avant le procès, ce dernier avait fort opportunément calculé, au moyen d’une simulation numérique, que le muret de séparation présent dans le sas du hangar 221 aurait pu, en se fragmentant, provoquer la détonation du tas principal de 300 t de nitrates. Bien que peu convaincant, car n’ayant fait l’objet d’aucune expérimentation valable, ce mistigri scientifique permit dès le lendemain matin, à l’un des experts judiciaires de modifier ses conclusions pour accréditer l’hypothèse de la transmission de l’explosion par sympathie mise à mal, quelques jours plus tôt, par les témoignages des salariés. A-t-il refait ses petits calculs pendant la nuit ? On peut en douter. Et de toute façon, il n’est pas admissible qu’un expert judiciaire modifie ses conclusions au fil des audiences d’un procès, une fois l’instruction close ! Encore un point sur lequel cette calamiteuse affaire AZF fait figure de première judiciaire…

Le procès n’a pas non plus permis de progresser sur les pistes dites alternatives. Mais c'était, encore une fois, largement prévisible. La thèse de l’acte volontaire (malveillance, terrorisme…) a été évacuée comme une patate chaude en dépit de quelques éléments nouveaux survenus pendant les audiences : présence d’un intérimaire non identifié à ce jour le matin de l’explosion, perquisition effectuée dès le lundi 23 septembre en plus de celle du vendredi 28 au domicile de Hassan J, selon sa compagne... Mais pas question de rebondir sur ce genre d’imprévus, de bouleverser le bel ordonnancement d'un procès qui se devait d'être « exemplaire ». Pourtant la vérité surgit parfois de détails apparemment anodins…

Les policiers venus se plaindre de n’avoir pu enquêter sur la piste criminelle (cf le chapitre 2 de mon livre : « La piste interdite ») ont été déjugés sous prétexte, en gros, que... leur hiérarchie prétendait le contraire. Si la sincérité d’un témoignage se mesure à l’aune du grade de celui qui en est l’auteur…

Quant à la médecin-légiste qui a signalé les multiples sous-vêtements de Hassan J., censés cacher une maigreur depuis longtemps révolue si j’en juge par les photos prises lors de l’autopsie, elle a quasiment eu droit à un procès en islamophobie de la part de certaines parties civiles et commentateurs en mal d’inspiration.

Et que dire du grand numéro de l’ancien patron des RG de Toulouse venant affirmer tout à trac que les pistes de l’acte de malveillance ou du « djihad isolé » sont exclues ? Et que l’explosion ne peut être que d’origine accidentelle. Faut-il en déduire que ce grand service de police dispose d’informateurs fiables, cela va sans dire, à chaque coin de rue, dans chaque cage d’escalier et jusque sur les quais de chargement des usines Seveso II pour être en mesure de détecter, et éventuellement de prévenir, des agissements par nature aussi imprévisibles ? C’est à la fois réconfortant et inquiétant. Je précise que, bien entendu, Joël Bouchité, avait juré juste avant, en levant la main droite, de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Bref, ces quatres mois de procès m'ont conforté dans l'idée que l'enquête judiciaire a été arbitrairement orientée dès le départ vers la piste accidentelle au détriment de toutes les autres. Et pour des motivations que tout le monde ignore dans la mesure où MM Chirac et Jospin n'ont pas cru devoir venir exposer devant le tribunal les raisons qui les avaient amenés à privilégier la piste accidentelle quelques heures seulement après le drame...

J'aurais néanmoins appris trois petites choses au cours de ces quatre mois interminables : la première est qu’un hélicoptère militaire Super Puma inconnu au bataillon était bel bien en vol à proximité de l’usine au moment de l’explosion, la seconde est que, selon les analyses acoustiques réalisées par plusieurs spécialistes de renommée internationale, le bruit enregistré avant l’explosion du hangar 221 correspond, d’après les données (incomplètes) dont ils disposaient, à celui d’un objet non identifié volant en altitude au nord est du site à une vitesse supersonique, la troisième est qu’il y a probablement eu deux explosions, l'une d'elles étant suffisamment aérienne ou faiblement couplée avec le sol pour ne laisser aucune signature sismique. Impossible évidemment de tirer, en l’état, la moindre conclusion de ces éléments disparates. Mais ils n'en sont pas moins intéressants à creuser. Sans oublier le doute qui subsiste sur le nombre exact de morts retrouvés sur le site, l'intérimaire "fantôme" que la PJ n'a pas vraiment cherché à identifier, les phénomènes d'électrisation subis par plusieurs salariés de l'usine quelques instants avant l'explosion et j'en oublie sûrement...

Par conséquent, en plus de prononcer la relaxe de Serge Biechlin et de la société Grande Paroisse, qui s'impose du strict point de vue du droit, le tribunal serait bien inspiré de demander un supplément d’information. Histoire de laisser une petite chance à la vérité de se manifester un jour. Peut-être. Réponse le 19 novembre.

Marc Mennessier

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