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L'aveugle et le paralytique

 

6/6/03 Jean Bounine
Le gouvernement s'est attaqué à la retraite des fonctionnaires afin d'équilibrer ce régime avec celui du secteur privé, en vertu par conséquent du principe d'équité. Les actuaires révèlent cependant que les conséquences économiques de cette politique pourraient se révéler, à court et surtout à long terme, très lourdes pour les finances publiques (cf. Pascal Gobry - La Grande Duperie - Plon 2002). Il en résultera donc un alourdissement des charges que subissent depuis toujours, d'une manière particulièrement pesante, les entreprises françaises. Or ces charges, qui s'étaient encore accrues sous le gouvernement Jospin du fait des 35 heures, n'ont pas été allégées, bien au contraire, par la politique dite de souplesse adoptée à cet égard, toujours en vertu du principe d'équité, par le gouvernement Raffarin. Il ne faut pas se leurrer : l'emploi ne va pas cesser de se détériorer si notre secteur productif continue d'être paralysé par une administration aveugle et envahissante. L'image qui vient à l'esprit est celle d'un paralytique ployant sous le fardeau d'un aveugle juché sur son dos. On conviendra qu'ainsi composée, l'équipe ne risque pas d'aller loin.

La France s'est installée dans une crise de l'offre. Comme elle ne travaille plus suffisamment, elle ne cesse de s'appauvrir. Entre 1998 et 2001, c'est-à-dire pendant les années de gestion socialiste du travail, elle est passée de la 12ème à la 19ème place dans le classement des nations de l'OCDE selon le critère de la richesse par habitant (PIB per capita). Le chômage ne pouvait donc que s'aggraver dès que le mythe de l'effet lénifiant des exonérations de charges sociales se serait dissipé. C'est bien ce que l'on constate depuis la fin de l'année 2002. Sur son site Internet, Strauss-Kahn est donc mal venu de reprocher au gouvernement de procéder au "démantèlement de la politique de l'emploi" par "la remise en cause des 35 heures". En raison de sa timidité, cette remise en cause a, en réalité, aggravé la crise. L'économie française subit toujours le contrecoup de la dévalorisation du travail orchestrée par les tenants du temps choisi, de la civilisation des loisirs et de la multiplication des journées de RTT. Les hommes politiques de l'actuelle majorité se sont inexplicablement abstenus de dénoncer publiquement l'absurdité de la loi Aubry et de proclamer que, face à une crise de l'offre, c'est en travaillant plus que l'on crée des emplois et non pas en stimulant artificiellement la demande. Comme le souligne avec force Michel Godet "c'est l'activité qui crée l'emploi" (cf. Le choc de 2006 - Odile Jacob 2003).

On a trop chargé la bête

La décision d'harmoniser "par le haut" les cinq salaires minimums hérités d'Aubry va provoquer, d'ici à 2005, un accroissement progressif, de l'ordre de 16 %, du salaire minimum dans les entreprises qui n'étaient pas encore passées aux 35 heures, notamment les petites entreprises, et se traduira au bout du compte, après imputation des charges sociales, par une augmentation du coût de travail de l'ordre de 25 % ! Comme on peut le constater autour de nous, l'artisan du coin ne risque pas d'embaucher dans ces conditions, encore moins de passer du temps à former ses compagnons : il préfère se replier sur une activité unipersonnelle. Et n'évoquons pas, par pudeur, le développement du travail au noir ! On peut aussi avoir la certitude que les délocalisations des productions de biens et de services industriels se poursuivront et que la politique keynésienne du gouvernement accroîtra les importations plutôt que les productions intérieures. Enfin, au niveau qu'il atteint, l'accroissement du coût du travail excède celui de la productivité. Le pays, dans son ensemble, continuera donc de s'appauvrir, dans la ligne tracée par les socialistes.

La conclusion s'impose : on a trop "chargé la bête" et notre image de l'aveugle et du paralytique est à peine caricaturale. A ceux qui en douteraient encore, on ne peut que conseiller de consulter Bernard Zimmern), qui ne cesse de dénoncer les comportements abusifs de nos administrations (www.ifrap.org).

Mais, pour peu qu'on cherche à faire l'étiologie du mal, on est conduit à critiquer le rôle des politiques. Les législateurs, toujours en vertu de quelque grand principe de morale sociale, et parfois, il faut l'ajouter, pour de sordides raisons électorales, multiplient sans retenue lois et règlements, sans jamais se soucier qu'elles donneront du grain à moudre aux administrations publiques et finalement chargeront un peu plus la bête. Le gouvernement n'échappe d'ailleurs pas à la critique à propos de la retraite des fonctionnaires. Dans la fonction publique, en effet, les pensions des retraités sont directement versées par l'Etat, sur son budget, sans considération pour les cotisations qui sont inscrites sur les bulletins de salaires des actifs : les cotisations n'étant versées à aucune caisse, ces inscriptions sont purement fictives. Contrairement au régime du privé, le régime de retraite du public n'est donc pas un régime par répartition. Comme un fonctionnaire retraité coûte moins cher à l'Etat qu'il ne lui coûtait la veille de son départ pour la retraite -dix fois moins cher précise même Gobry dans son ouvrage- il s'ensuit que le fait d'allonger la durée d'activité des fonctionnaires alourdira forcément le budget de l'Etat. Toujours d'après Gobry, les calculs actuariels montrent que ce déséquilibre, qui s'amplifiera dans le temps, y compris après le décès des pensionnés mariés, pourrait se révéler "catastrophique" pour les finances publiques. Il va donc, au bout du compte, charger un peu plus la bête.

L'aveuglement du secteur public

Il se trouve, malheureusement, que le syndicat de hauts fonctionnaires qu'anime Gobry n'a pas été consulté, parce qu'il n'est pas représentatif. Il n'est donc pas considéré comme un rouage de "la démocratie sociale"… A vrai dire, l'incongruité, et maintenant le caractère proprement insurrectionnel des manifestations organisées, sur le sujet, par quelques syndicats détenteurs du label de représentativité, conduit beaucoup de citoyens de la majorité silencieuse à douter qu'il soit possible de concevoir puis de promouvoir, par la négociation, toute espèce de réforme de la fonction publique. "Quand la masse du navire est trop importante, a écrit le physicien Heisenberg, l'aiguille du compas n'indique plus le Nord, elle indique le navire". Equipage et passagers sont devenus aveugles à tout ce qui est extérieur au navire, au point de bloquer le gouvernail et de tourner en rond. Ces errements sont bien connus des cybernéticiens. Ils peuvent même entraîner des comportements suicidaires. Les grandes entreprises, y compris les grandes entreprises publiques soumises aux règles du marché, ont appris à s'en défendre en luttant constamment contre leur propension à "oublier le client". Elles le font, non par philanthropie, mais parce que c'est, pour elles, une question de survie et l'on peut dire qu'à défaut de le faire, elles auraient, en effet, elles aussi un comportement suicidaire. Rien de pareil dans les administrations publiques parce que, justement, elles ne sont pas soumises aux règles du marché. Or en quoi consistent ces règles sinon dans la libre concurrence des producteurs ?

Il est clair que la massification du secteur public et, par conséquent, son aveuglement et sa rigidité organique, ne pourront pas être vaincus par le système lui-même. Il faudra que la réforme, le changement, lui soient imposés de l'extérieur, par la remise en cause, chaque fois que c'est possible, du caractère monopolistique de ses missions, en lui opposant des options concurrentes.

Une grande nouvelle : l'abrogation du monopole de la Sécu

Le premier exemple qui vient à l'esprit est celui de la formation professionnelle dont l'Education Nationale s'est assurée, depuis la Libération, un monopole de fait pour des raisons purement idéologiques. C'est évidemment aux entreprises elles-mêmes qu'il appartient de reprendre l'initiative dans ce domaine, en remettant à l'honneur les méthodes d'apprentissage en entreprises, qui étaient pratiquées, chez nous, avant la dernière guerre et dont les Allemands se sont empressés de s'inspirer pour leur plus grand bien. Mais il est frappant de constater que le patronat s'est montré et continue de se montrer, sur ce sujet, particulièrement timoré, alors même que les mauvaises performances de la formation professionnelle d'Etat sont amplement prouvées, notamment du fait de son incapacité à répondre, en ce moment même, aux pénuries de travailleurs qualifiés qui se manifestent dans de nombreux domaines. L'habitude de solliciter l'Etat et de dépendre de son bon vouloir, le souci qu'ont beaucoup de grandes entreprises de s'attacher la collaboration d'anciens élèves de l'ENA, les stratégies d'influence des grands corps de fonctionnaires et l'emprise exercée par la bureaucratie étatique sur les esprits finissent par justifier cette boutade que l'on entend fréquemment dans les pays étrangers : "chez nous, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé ; chez vous, en France, tout ce qui n'est pas autorisé est interdit". Il est grand temps de secouer cette torpeur. Le deuxième exemple que nous prendrons est celui de la protection sociale parce qu'il commande directement le coût du travail. Il est bien connu que les prélèvements obligatoires sont beaucoup plus importants en France que dans la plupart des autres grands pays industriels, notamment l'Amérique. La justification que l'on ne manque jamais de donner à cela, dans les allées du pouvoir, est que, contrairement à l'Amérique, la protection sociale est assurée, en France, pour l'essentiel, par l'Etat. Justement !… Or Claude Reichman prédit, depuis de nombreuses années, la fin du monopole de la Sécu. Il nous a récemment informés que c'était désormais chose faite, au moins en droit (www.claudereichman.com). Tout chef d'entreprise français peut désormais s'adresser au marché européen pour assurer la protection sociale de ses collaborateurs et de lui-même. C'est une grande nouvelle, qui devrait considérablement faciliter les créations d'entreprises et, d'une manière générale, la compétitivité de nos entreprises, car il n'est pas d'exemple que la concurrence ne se soit traduite, finalement, par des économies très importantes.

Pour un renouveau du sens moral

Mais, dans ce domaine, plus que dans tout autre, il faudra avoir le courage de remettre en cause le principe selon lequel tout ce qui n'est pas autorisé est interdit en France. Par les initiatives qu'il prend en ce moment même, Claude Reichman est en train de jouer un rôle essentiel d'initiateur et de pédagogue. Il faut l'avouer en effet : depuis que nous sommes soumis, en France, aux pesanteurs de l'économie administrée, nous sommes un peu comme des cyclistes qui auraient désappris que le meilleur moyen de ne pas tomber de la machine est d'aller de l'avant. A moins de continuer à se faire assister… par un piéton. Il est indéniable, en effet, que la Sécu a donné à beaucoup de Français, surtout parmi les retraités d'ailleurs, de bien mauvaises habitudes ("On aurait tort de s'en priver…") Les bienfaits que l'Etat-providence distribue au nom de la morale sociale ont fini par étouffer le sens moral individuel. Parce qu'il permettra d'associer des sanctions pécuniaires aux abus de comportement des individus, le marché, dans son acception la plus commune, pourra certainement contribuer à ce renouveau du sens moral.

Adam Smith n'était-il pas, avant tout, un moraliste ?

Jean Bounine *

* Dernier ouvrage paru : " Vérités sur les 35 heures ", présentation de François Dalle, 198 pages, 16 €, Editions du Rocher.

 

 

 

 

 

 

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