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8/10/09 Jean-Michel Aphatie

Frédéric Mitterrand doit dire s’il a pratiqué le tourisme sexuel !

Evidemment, la polémique Mitterrand. Evidemment, parce que son déclenchement et son déroulement suscitent beaucoup de questions sur le fonctionnement du monde politique, sur la presse, et sur leurs rapports que chacun d’eux entretient avec l’opinion publique.

Formulons, pour ne pas nous perdre dans des débats périphériques, quelques idées simples. Dans son livre intitulé « La mauvaise vie », publié en 2005 par les éditions Robert Laffont, Frédéric Mitterrand formule l’aveu de sa pratique douloureusement vécue du tourisme sexuel en Thaïlande. Rien dans ses écrits ne permet de parler de pédophilie. En revanche, de manière claire, l’auteur évoque ses déplacements dans ces pays où l’achat du sexe est l’un des buts du voyage.

La promotion du livre effectuée par son auteur au moment de sa sortie repose essentiellement sur ces épisodes. Frédéric Mitterrand accepte les questions sur le sujet et y répond avec une certaine franchise. Si l’aveu trouble ou choque, ce qui l’emporte alors, et qui recouvre ce que la réalité décrite peut avoir de sordide ou de révoltant, c’est la sincérité de l’homme et le talent de l’écrivain.

Depuis quelques mois, Frédéric Mitterrand est devenu ministre de la République. Son changement de statut pose une question simple, j’insiste, simple, et aussi unique, simple et unique. La voici : puisque la France condamne le tourisme sexuel, un citoyen l’ayant pratiqué peut-il être ministre de la République ? Si la question est simple à formuler, la réponse, elle, peut être complexe.

Invité de RTL, ce matin, à 7h50, Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, a posé un préalable légitime. Etes-vous sûr, a-t-il retourné en substance, que Frédéric Mitterrand a pratiqué le tourisme sexuel ? A l’antenne, j’ai répondu « oui », car cela est explicitement dit dans le livre. Toutefois, il appartient désormais à son auteur de le confirmer, ce qu’il sera sans aucun doute amené à faire, probablement à brève échéance.

Difficile d’imaginer qu’il réponde désormais que toute cette partie de son livre était un pur fantasme. Cela contredirait totalement les propos qu’il a lui même tenus lors de la promotion de son livre. Une réponse négative aujourd’hui ressemblerait à un mensonge et à une échappatoire. Ce qui, en creux, signifierait que dans son esprit, il serait inimaginable qu’une personne s’étant adonnée au tourisme sexuel puisse être ministre de la République.

Le cas le plus probable est donc que Frédéric Mitterrand confirme les propos de son livre et lève toute ambiguïté, s’il en demeure, sur cette pratique personnelle. Dès lors, la réponse ne lui appartient plus, ou plus précisément appartient à d’autres.

On pense, au premier chef, au président de la République. Puis ensuite au premier ministre. Les deux plus hautes autorités de l’exécutif peuvent-elles ou non accepter ce fait singulier de voir l’un des membres de l’équipe gouvernementale ayant accompli dans le passé une pratique condamnée par loi et contre laquelle l’Etat français s’est engagé depuis longtemps ?

Disons, pour les besoins du raisonnement, que la réponse peut-être « oui » ou « non ». Il faut laisser les autorités de la République dire leur sentiment et écouter avec application leurs justifications.

Dans cette histoire, le journalisme est confronté à une question particulière. Pourquoi ne pas avoir cité le livre de Frédéric Mitterrand, et les passages incriminés, lors de sa nomination au ministère de la Culture ? Ou, pour être plus précis, pourquoi ne pas avoir évoqué le livre comme un problème potentiel, ou comme révélateur de questions de principe ?

Chaque journaliste, à l’intérieur de chaque rédaction, possède sa réponse. Le journalisme est un milieu divers, marqué pour chacun de ses pratiquants par le projet particulier du média où il exerce. Il existe toutefois quelles lignes générales, parfois floues, qui donnent un semblant d’unité à cette population professionnelle.

Plusieurs raisons peuvent expliquer que le livre n’ait pas été pointé comme un élément majeur, ou important, dans la biographie de Frédéric Mitterrand au moment de sa nomination. D’abord, la nomination était légitime, le passé de l’intéressé dans le monde de la culture étant indiscutable. Elle représentait ensuite un bon « coup » politique. Ce qui a pu affecter le traitement de l’information. Ensuite, les journalistes partagent et éprouvent cette part de la culture française qui répugne à mêler les moeurs des individus et les parcours publics. Enfin, citer le livre et s’engager dans une campagne de dénonciation ne correspond pas forcément à la manière dont la presse conçoit son rôle en France.

Toutes ces explications, bien sûr, peuvent être discutées. Je ne doute pas que certains en saisiront l’occasion.

Cette affaire, on le sait, a démarré lundi soir lorsque Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, a évoqué le livre sur le plateau de Mots Croisés, sur France 2, et en a lu des passages. Mais la polémique a vraiment pris de l’ampleur lorsque Benoît Hamon, porte-parole du parti socialiste, a dit à son tour l’émotion qui était la sienne.

Cela appelle deux remarques. Peut-on considérer que Benoît Hamon a engagé hier le parti socialiste? Ou bien a-t-il parlé en son seul nom ? Il semblerait, vu les réactions des autres dirigeants socialistes, Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, qu’en l’occurrence, le porte-parole n’engage pour l’instant personne d’autre que lui même.

Autre remarque. Il semble que le fait d’avoir relayé un propos du Front national soit ressenti, à l’intérieur du PS, par Frédéric Mitterrand, voire dans certains journaux ce matin, comme une faute, une incongruité, ou une bêtise.

Raisonnement curieux, pour ne pas dire enfantin. L’émetteur, ici comme ailleurs, est moins important que le fond. Les questions posées sont plus importantes que celui qui les pose. Bien sûr, il n’est pas indifférent de savoir qui les pose. Mais ce n’est pas non plus déterminant. Inverser les propositions est infantile, et à bien des égards, notre débat démocratique l’est aussi.

Cette polémique riche de révélations sur nous-mêmes va se poursuivre. En effet, ce soir, à 20 heures, Frédéric Mitterrand sera sur le plateau de TF1, seul et unique lieu de légitimation de la parole publique, ce qui soulève d’autres questions, qui seront, peut-être, traitées un autre jour.

Jean-Michel Aphatie

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