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30/3/09 Jean-Michel Aphatie
    Procès Colonna : le silence et la démission des                                    journalistes

Ce matin, Alain Duhamel a consacré son éditorial au procès d’Yvan Colonna, achevé vendredi sur la plus lourde condamnation envisageable, la prison à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. Hormis les propos d’Alain, rien dans la presse écrite d’aujourd’hui, rien hier non plus et finalement, au regard de ce qui s’est joué devant la cour d’assises spéciale durant presque deux mois, il n’y avait pas grand chose non plus dans les journaux samedi.

Le procès tel qu’il s’est déroulé, tel qu’il a été mené, dans ses faiblesses et ses manques, dans son apport aussi, indéniable, à une partie de la vérité, paraît avoir établi plusieurs évidences. La première concerne Yvan Colonna. Hors de toute polémique, sa connaissance des initiateurs du meurtre du préfet Erignac, certains témoignages attestant de sa présence à Ajaccio juste avant et juste après le meurtre, signent une forme de culpabilité le concernant. Mais une forme seulement. Car ni les enquêteurs de la police, ni les juges de l’instruction, n’ont pu établir formellement qu’Yvan Colonna est l’assassin du préfet Erignac. Or, c’est pour cela qu’il a été condamné. Et c’est pour cela, uniquement pour cela, que ce jugement mériterait davantage d’indignation qu’il n’en a provoquée.

Comment la justice française peut-elle affirmer, au nom du peuple français, quelque chose qu’elle a été incapable d’établir ? Comment l’avocat général, dans son réquisitoire, a-t-il pu affirmer de l’accusé qu’il était « le tireur, l’exécuteur et le bourreau »? Il est comme nous : à minima, il n’en sait rien. Peut-être en a-t-il l’intime conviction, peut-être est-il excédé par les dérobades d’Yvan Colonna, peut-être est-il traumatisé par le meurtre. Pour autant, tous ces sentiments ne justifient pas qu’un magistrat appuie sur eux sa démonstration et réclame une peine hors de proportion avec ce que le procès a pu établir. Et l’étonnement grandit encore quand les magistrats professionnels qui composent la cour d’assises spéciale suivent le réquisitoire et condamnent l’accusé à la peine maximale, le désignant eux aussi, sans l’ombre d’un doute, dans une certitude incompréhensible, comme « le tireur, l’exécuteur et le bourreau ».

Samedi, Libération a titré ainsi son papier, publié page 6 : « Yvan Colonna: le procès tangue, pas le verdict. » Cette mise en contradiction du procès et du verdict synthétise formidablement le problème. Ce titre dit bien que le verdict est indépendant du procès. Ce qui, dans une démocratie, n’est pas acceptable.

Curieusement, ce constat, partagé, est demeuré sans suites. Nulle part dans la presse, un éditorial n’a posé la question, soulevé le problème. Certains papiers, mais de manière très inégale, ont souligné la partialité du président, donc l’orientation du cours de la justice. Mais pas un commentaire sur ce sujet, dans la presse, donc encore moins d’indignation. Le procès a été suivi de manière factuelle, et faut-il le préciser, de manière très inégale, mais pas une plume ne s’est consacrée à l’observation des principes.

Que déduire de ce silence ? Plusieurs hypothèses. A l’heure de la mondialisation et de la crise qu’elle provoque, nos sociétés paraissent parfois n’avoir pas d’autres préoccupations que mercantiles. Bien sûr, nous savons tous que l’aventure humaine vaut plus par l’esprit que par l’argent. Régulièrement, pourtant, nous l’oublions.

Autre hypothèse. Dans ce vieux pays républicain, sentiment qui honore ce grand peuple, le besoin de punition face à l'agression de l'Etat est infiniment plus fort que l’envie de justice. Disons-le autrement : dans une telle circonstance, mieux vaut risquer l’injustice plutôt que fabriquer un désordre. Dans sa perception tactile de l’opinion publique, la presse, le monde du journalisme dans son ensemble, paraissent avoir remarquablement intégré cette hiérarchie.

Enfin, dernier élément explicatif, trente ans de désordres et de violences en Corse ont lassé depuis longtemps le continent. L’incompréhensible histoire du nationalisme sur l’île, ses querelles mortelles, ses instrumentalisations incessantes, ont détourné toute une catégorie de la population française de l’observation des principes. Que l’autorité et la force règlent le problème, voilà ce que semble signifier le silence collectif face à l’impression de dérapage judiciaire qu’a dégagé le procès.

Si on peut l’expliquer, l’inattention aux principes n’en est pas moins glaçante. La démocratie est un bien fragile, un équilibre précaire. Un manquement, à tout moment, laisse une trace dans la culture collective et peut donner, un jour, un fruit indésirable. C’est pour cela que le combat doit être permanent. Rien ne doit être négligé. Et même si les mots peuvent parfois paraître vains, ils n’en demeurent pas moins comme des marques dans les consciences et des garde-fous pour les pouvoirs.

Que la presse et les journalistes aient désinvesti à ce point cette fonction minimale de vigilance démocratique désole et attriste.

Jean-Michel Aphatie

 

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