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8/5/09 Jean-Michel Aphatie
       Nous, Français, avons tué le rêve européen

Journée calme, jour férié, jour du souvenir, la deuxième guerre mondiale, c’est si loin, si irréel, et tellement important pourtant.

Nous ne savons plus que nous avons fait l’Europe pour cela. « Faire l’Europe » : l’expression m’a toujours agacé. Il ne s’est jamais agi de cela. Les pères fondateurs, qui furent parmi les intelligents sur ce bout de terre mais dont peu d’entre nous sont capables de citer spontanément les noms, voulaient mettre fin à dix siècles de conflits entre la France et l’Allemagne, cousins issus du même rameau, séparés à partir du dépeçage de l’empire de Charlemagne, rivaux depuis, ennemis parfois.

Pour renouer le fil de l’histoire perdue, ils proposèrent deux initiatives. La mise en commun du charbon et de l’acier d’abord, pour unifier la construction industrielle. La mise sur pied d’une armée commune ensuite, initiative immense, capitale, dont curieusement nous ne gardons aucun souvenir, même pas celui du remords.

L’acier n’a pas posé de problème, l’armée si. Construire une armée commune, c’était s’obliger ensuite à définir une diplomatie commune, sinon comment utiliser l’outil militaire? Et définir une diplomatie commune, c’était s’obliger à constituer des centres de décisions dont la légitimité serait supranationale. Le projet était grandiose, le calcul audacieux. Les Allemands étaient prêts à l’immense chantier, et ce sont les Français, nous, toujours ivres de notre grandeur passée, dépassés à cette époque déjà par la réalité du nouveau monde, qui l’avons refusé.

Comme il est curieux de constater que nous ne possédons pas cette histoire, étrange de constater combien nous l’avons refoulée, étonnant de voir comment nous la nions par notre silence. L’armée européenne, morte en 1954, inscrivait le projet européen dans la trajectoire historique des peuples qui ont pris racine sur ce bout de terre. Ce projet échoué, par notre faute, je le répète, en a terminé avec le sens historique de la construction communautaire. Tout ce qui a suivi n’a été, ne sera, que de la bricole, voué à disparaître car insuffisamment ancré dans la particularité de la culture européenne.

La voie militaire, donc politique, fermée, les « pères fondateurs », pas découragés, même pas écoeurés, pénétrés par l’importance de leur mission, les chairs encore brûlante du souvenir de la guerre, ont emprunté l’unique chemin accessible : celui de l’économie. D’où le marché unique, la monnaie unique, l’acte unique, itinéraire de marchands anglo-saxons alors que l’Europe a été, n’a été, que la terre de la philosophie et des idées. Comment voulez-vous que cette Europe-là se « fasse »? Elle est, dans ces racines, une aberration culturelle. Et pourtant, nous avons besoin d’elle. Quel drame les petits humains que nous sommes nous sommes-nous construit ?

Le général de Gaulle, qui n’était pas un petit homme face à l’Histoire, n’a rien compris à l’Europe, car il a puissamment oeuvré pour faire capoter l’idée de l’armée commune, agitant même le spectre de la guerre civile. Ceux qui ont suivi ne valent guère mieux.

Dans la construction économique qui est désormais notre unique voie et aussi notre calvaire, nous Français nous comportons comme des gougnafiers. Grand pays de l’Europe, chantre de la construction, nous refusons avec une constance qui nous déshonore toutes les disciplines, toute la rigueur, à laquelle devraient pourtant nous obliger notre adhésion, je souligne : notre adhésion, au projet de monnaie commune.

L’arrogance française est une schizophrénie. Nous proposons un pacte monétaire aux Allemands et nous ne le respectons jamais. Nous signons un traité, et nous le critiquons. Nous installons des institutions, la BCE par exemple, et nos élites l’insultent. J’ai pensé il y a longtemps, et je pense aujourd’hui encore, que si j’étais Allemand, je dirais aux Français d’aller se faire voir. Ils le feront un jour, et parce que je suis Français, je suis très triste d’imaginer que cela se produise un jour.

Le 8 mai 1945, l’Europe n’était plus qu’une plaie. Mais un rêve commençait à se former dans cette douleur. Pourquoi avons-nous tué le rêve ?

Jean-Michel Aphatie
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