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5/3/09 Jean-Michel Aphatie
Chaque jour, le procès Colonna étonne                        davantage !

Hier matin, c’est un policier qui dépose, Philippe Frizon, membre des services anti-terroristes au moment de l’enquête sur la mort du préfet Erignac. Au détour de l’interrogatoire que lui font subir les avocats de la défense, il mentionne des écoutes téléphoniques opérées à partir du 8 décembre 1998 au détriment d’un militant nationaliste. Ces écoutes judiciaires, explique le policier, font apparaître des conversations entre ce militant nationaliste, Alain Ferrandi, qui sera arrêté plus tard pour sa participation au meurtre de Claude Erignac, et Yvan Colonna.

Stupeur de la défense, et pour cause : ces écoutes téléphoniques n’ont jamais été mentionnées jusqu’ici. Du coup, elles ne figurent pas au dossier d’instruction, et leur absence renforce le sentiment d’une justice partiale. Pourquoi ces écoutes, et ce lien qu’elles établissent entre Alain Ferrandi et Yvan Colonna à la fin de l’année 1998, sont-elles importantes ? Parce que jusqu’ici, les policiers assuraient qu’ils n’avaient jamais fait de lien entre l’accusé et le commando avant que les membres de ce dernier ne mentionnent le nom d’Yvan Colonna, en le dénonçant comme le tueur du préfet, lors de leur garde à vue, en mai 1999. Les policiers soutiennent cette thèse car elle leur permet de mettre à distance la critique que leur font les défenseurs du berger corse. C’est vous, disent-ils aux policiers, qui avez suggéré le nom d’Yvan Colonna aux membres du commando après des dizaines d’heures de garde-à-vue, et ce ne sont pas eux qui vous l’ont donné spontanément. Faux, répondent les policiers, nous n’avions pas repéré Colonna avant ces aveux. Voilà ce que ruinent d’un coup les fameuses écoutes téléphoniques.

Il s’est passé autre chose, hier, devant la cour d’assises spéciale de Paris. L’une des pièces fortes de l’accusation est constituée par la localisation technique des téléphones portables des membres du commando le soir du crime, au moment du crime. Ce fut un des éléments qui justifièrent la condamnation d’Yvan Colonna lors du premier procès. Hier, au terme d’un questionnement précis, serré, de la part d’un des avocats de la défense, Me Gilles Siméoni, il est apparu que le scénario présenté depuis des années par la police, un tel se trouvait ici à telle heure, tel autre là, etc., ce scénario-là ne correspondait pas aux données techniques établies par les relais téléphoniques.

Il est d’ailleurs très étonnant de constater qu’il faut attendre un second procès pour établir ce fait. Cela montre à quel point l’administration de la justice est une chose difficile quand il s’agit de construire une accusation à partir d’indices et non pas de preuves. Lors du premier procès, la technique a imposé une vérité qui ne résiste pas à l’examen d’un second procès. Extraordinaire démonstration, ou leçon, sur la fragilité de la comédie judiciaire.

Au total, depuis l’ouverture des débats, le 9 février dernier, les présomptions qui accusaient Yvan Colonna se sont effritées. Les connaisseurs du dossier assurent que les jours à venir pourraient être plus difficiles pour lui. Défileront notamment à la barre les membres du commando qui, lors du premier procès, l’avaient disculpé avec beaucoup d’ambiguïté. Les chroniqueurs judiciaires ont expliqué après coup que ces auditions-là avaient fortement contribué à la condamnation d’Yvan Colonna, sans toujours paraître comprendre que des disculpations ambiguës peuvent difficilement valoir preuve de meurtre d’un être humain.

Je n’ai jamais été pour ou contre la thèse de la culpabilité d’Yvan Colonna. Avec le recul, je m’étonne même de la forme d’inattention qui a été la mienne lors du premier procès, qui s’est déroulé en décembre 2007. En revoyant les éléments qui ont abouti à la condamnation à perpétuité, je ne peux pas m’empêcher de les trouver plutôt légers. Où avais-je la tête à ce moment là ? Je n’en sais plus rien. Ce qui me semble important aujourd’hui, c’est que la justice française condamne l’assassin du préfet Erignac, cela, oui, c’est important et même très important. Mais il me semble impossible d’être le complice passif de la condamnation d’un individu, quel qu’il soit, parce que son acquittement remettrait trop de gens et trop de choses en cause. Cela, c’est inacceptable.

La justice ne peut s’administrer que dans la sérénité et la certitude. Si un procès fait apparaître la culpabilité de quelqu’un, alors il doit payer sa faute, son crime en l’occurrence. Si en revanche, le procès ne permet pas de conclure, de lever le doute ou les doutes, alors il n’est pas possible d’accepter qu’un individu soit enfermé à vie sans que la société soit certaine de sa culpabilité.

Pour finir, la question n’est pas de savoir si Yvan Colonna est innocent. La question, autrement plus exigeante, est celle-ci : Yvan Colonna est-il coupable? Pour l’instant, disons que la réponse n’apparaît pas comme une évidence.

Jean-Michel Aphatie

 

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