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8/12/08 Jean-Michel Aphatie
Le jour où les prêteurs ne voudront             plus prêter à la France

Cette dépêche, 8h03, Reuters : « Toyota envisage de réduire ses investissements de 40 % ». La voilà, la vraie crise, durable, profonde. L’économie mondiale ralentit, elle ralentit fort et vite. Les différents plans de soutien à l’activité économique sont bienvenus et salutaires, mais ils risquent d’être peu efficaces pour cette seule raison que l’industrie mondiale perd ses débouchés et doit redimensionner son immense carcasse au pouvoir d’achat qui fond des consommateurs des biens qu’elle produit.

Pendant les dix ou quinze dernières années, aux USA notamment, la capacité d’achat des consommateurs était artificiellement entretenue par un crédit surabondant, lui même fruit de l’argent pas cher initié par la politique laxiste des taux d’intérêts définie par la banque fédérale américaine dirigée par Alan Greenspan. Reprenez les déclarations des responsables politiques français, de Nicolas Sarkozy à Jean-Pierre Chevènement, en passant par tout un tas de personnalités aujourd’hui ministres ou rêvant de l’être. Alan Greenspan était un génie et Jean-Claude Trichet, président de la BCE, un crétin, pour notre malheur à nous, Européens. Ce genre de recherche et de rafraîchissement de la mémoire peut permettre de répondre à la question: sommes-nous bien gouvernés ?

Bien sûr, parler et reparler de la dette est lassant, alors même que les esprits sont fixés sur les effets miraculeux de la miraculeuse relance décidée par le pouvoir politique dont les caisses, il le dit lui-même, sont vides.

Dire que le capitalisme est fondé sur la notion de dette est sans doute excessif. Mais il est vrai que la dette n’est pas étrangère au capitalisme car sans elle, il n’y aurait pas d’accumulation de capital productif, ni d’équipement des ménages en biens onéreux. Toutefois, qui dit dette dit prêteur. Normalement, un prêteur prête en évaluant la capacité de remboursement de celui à qui il prête. C’est d’ailleurs ce point de vue simplissime que le capitalisme américain a perdu de vue ces quinze dernières années et que nous payons tous très cher aujourd’hui car le propre du prêt, c’est que d’une manière ou d’une autre, il faut le rembourser, toujours, partout et tout le temps.

Forts de ce principe, parlons donc maintenant de l’Etat français, puisque c’est le nôtre et que l’argent qui lui donne vie et permet son action est le nôtre, donc nous pouvons en parler avec légitimité. Cet Etat s’endette sans discontinuer depuis trente ans. Depuis trente ans, que la croissance soit là ou pas, il s’endette chaque année davantage. Au bout du temps, la dette est une montagne dont le remboursement coûte cher. Il y a dix ans, les intérêts de la dette, ne parlons pas du capital mais des seuls intérêts, c’est-à-dire la rémunération du prêt aux prêteurs, équivalait à peu près à la moitié de ce que rapportait l’impôt sur le revenu. L’année dernière, c’est la totalité du produit de l’impôt sur le revenu qui a été nécessaire pour honorer les seuls intérêts des emprunts. Les spécialistes disent qu’en 2010, face à l’aggravation de l’impasse budgétaire programmée avec le plan de relance à crédit, c’est davantage que l’impôt sur le revenu qu’il faudra consacrer, en France, pour le seul remboursement des intérêts des emprunts.

En soi, cela me paraît douloureux, et injuste. L’impôt sur le revenu a un sens s’il permet l’équipement du pays en biens collectifs, ou bien s’il finance des systèmes de solidarité à l’intérieur de la communauté nationale, ou présente sur le territoire. Mais que la totalité de cet impôt puisé dans le travail de chacun, et bientôt donc davantage que cet impôt, soit utilisé pour honorer l’usure des prêts consentis par des prêteurs me paraît inadéquat, inadmissible, voire même révoltant.

Convenons que la révolte individuelle n’a pas grand sens. Alors plaçons-nous du côté des prêteurs. Prêter, c’est leur métier. Ils prêteront donc aux Etats tant que ceux-ci leur paraîtront en capacité de rembourser. Seulement, la montagne s’élevant et les ratios se dégradant, celui du niveau des intérêts à rembourser en étant un parmi d’autres, les prêteurs peuvent un jour rechigner.

On nous dit, parce que la propagande ne cesse jamais, qu’aujourd’hui les obligations d’Etat permettant de financer les emprunts s’arrachent comme des petits pains frais du matin. C’est très certainement vrai. Mais cela durera-t-il ? Les marchés, versatiles, se retourneront un jour si l’Etat emprunteur ne produit aucun effort pour emprunter moins mais se débrouille pour emprunter chaque année plus. Il suffira d’un froncement de sourcils de ces marchés, d’une campagne obligataire difficile pour que tout à coup la confiance, cette chose ténue qui est l’essence même des échanges, donc si l’on veut du capitalisme, se dissolve.

Alors, les risques sont incalculables, les conséquences aussi, tout comme les chemins de la crise, potentiellement aussi nombreux qu’imprévisibles. Par exemple, si les prêteurs ont la peur, justifiée ou pas - être rationnel n’est pas obligatoire dans ces affaires - de ne plus retrouver ne serait-ce qu’une part de leur argent, alors la monnaie qui représente cet Etat peut trinquer, la spéculation peut se déchaîner, la crise financière menacer, entraînant d’autres pays dans la tourmente, puisque l’euro est une construction solidaire à laquelle, pourtant, nous sommes si peu fidèles.

De quelles ressources dispose un Etat ainsi fragilisé et malmené ? Faibles. Il peut en appeler, c’est une hypothèse, une possibilité, au FMI pour juguler la crise de confiance, l’aider à réorganiser sa montagne, à réguler différemment sa dépense, à organiser autrement ses recettes, et alors là, bonjour le serrage de vis, la rigueur rigoureuse, les pleurs et les larmes. Au passage, ce serait farce de voir le FMI, dirigé par un Français, se pencher sur l’état de son Etat.

Bien sûr, plusieurs lecteurs doivent écarquiller les yeux. Le FMI, en France, allons bon, c’est n’importe quoi. Le FMI, c’est pour les sauvages, les pas civilisés, mais pas pour nous, la France. Vivons donc sur nos illusions. C’est là notre dernière vraie richesse, même si elle nous aveugle.

Jean-Michel Aphatie

 

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