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13/3/09 Jean-Michel Aphatie
La France entre le musée et la galerie des horreurs

Comme toujours, le temps fait son oeuvre. Qui donc aujourd’hui parle encore de Total ? Pourtant, nous n’avons pas rêvé ? Mardi durant toute la journée, puis encore un peu mercredi, cette société représentait l’abomination du capitalisme. Pensez donc ! Des milliards d’euros de bénéfices et des licenciements. Et puis, après avoir dénoncé, tempêté et hurlé, on a compris que les 555 suppressions de postes produiraient zéro chômeur, que la disparition de ces postes commencerait en 2010 et s’étalerait jusqu’en 2013. Si tous les plans sociaux ressemblaient à celui là, franchement, nous serions des gens heureux.

Autre chose à propos de Total. Ceux qui se sont trouvés pris au piège d’avoir parlé trop vite ajoutent généralement pour se dédouaner que plus mauvais « communicant » que Total, cela n’existe pas. Là encore, il faut une solide méconnaissance des lois et des pratiques sociales pour émettre ce jugement. Sous peine de se voir reprocher un délit d’entrave vis-à-vis des organisations syndicales, une entreprise ne peut pas informer l’extérieur d’un plan quelconque d’ajustement des effectifs avant d’en avoir informé l’intérieur, c’est-à-dire les salariés par l’intermédiaire de leurs représentants. Seulement, en procédant ainsi, donc en respectant la loi, une entreprise perd la maîtrise de sa communication. En effet, lors d’une interruption de séance, mardi dernier, vers 11 heures, des représentants d’un syndicat, le CGT en l’occurrence mais cette précision est purement factuelle, a fait connaître de manière imprécise et imparfaite le plan de réduction des postes que venait de leur présenter la direction de Total. D’un coup, la prairie s’est enflammée, notamment parce que mal informé un secrétaire d’Etat a expliqué que ces licenciements qui n’en étaient pas lui restaient « en travers de la gorge ».

J’écris cela non pas pour défendre Total, qui se débrouillera toute seule, mais parce que cet emballement me paraît révélateur de la faible connaissance des mécanismes économiques et sociaux que nous avons en partage, et aussi d’une forme de ressentiment que nous entretenons collectivement vis-à-vis du monde des affaires et de l’argent. Cela explique sans doute pourquoi nous sommes le seul pays développé à pouvoir aligner dans une grande compétition électorale trois candidats d’obédience trotskiste, plus un communiste, plus quelques anti- capitalistes équitablement répartis entre la droite et la gauche. La France se trouve ainsi parfois à mi chemin entre le musée et la galerie des horreurs. La preuve par Total que ce n’est pas prêt de se terminer.

Le temps fait son oeuvre parce que c’est bien l’affaire de Clairoix, dans l’Oise, qui s’impose dans cette actualité de crise. Là, l’usine est carrément supprimée, 1120 emplois condamnés. Ce drame économique suscite le désarroi et aussi la colère, car les salariés ont l’impression d’avoir fait beaucoup de sacrifices ces dernières années pour le fabricant de pneus Continental, propriétaire du site.

Cette histoire concentre ce que le capitalisme projette parfois en terme de violence et d’inhumanité. La situation est d’autant plus désespérante que personne ne paraît avoir, dans un temps très court, de réponse susceptible d’éviter le naufrage. Dans ces cas là, l’impuissance n’est pas le moindre aliment de la révolte.

En ces temps brouillés et difficiles, la lucidité, la mesure et l’honnêteté nous seront plus utiles que l’emballement et l’émotivité. Retiendrons-nous la leçon ?

Jean-Michel Aphatie

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