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5/6/09 Jean-Michel Aphatie
        La société française file du mauvais coton !

La campagne électorale pour les élections européennes se termine. Vote dimanche, résultats à partir de 22 heures. Mais déjà, sans préjuger des votes, des enseignements sur ce que nous sommes, et sans doute ce que nous devenons.

D’abord, le désenchantement européen, cruel, douloureux, mais si fort. Qui donc croit encore à l’Europe, au projet européen, dans ce pays ? A l’origine, l’Europe, c’était la paix. La paix, à l’origine, avec l’Allemagne. Mais tant de temps a passé que la guerre a été non seulement chassée des mémoires, mais aussi des mentalités. Hier, avant-hier, la guerre était perçue par les hommes comme un moyen politique de résolution des problèmes les plus importants. Aujourd’hui, et c’est un progrès, la guerre est devenue un moyen illégitime, donc inadmissible, de résolution des problèmes.

Mais du coup, effet pervers, la notion même de paix s’est modifiée. Les peuples d’Europe entendent désormais ce mot comme synonyme de stabilité et de tranquillité. Voilà ce que l’on attend de l’Europe, ce que l’on a espéré d’elle, qu’elle garantisse la stabilité de la vie sociale, qu’elle protège des modèles économiques et des solidarités humaines. Là dessus, la crise, peut-être les crises, viennent tout bousculer. Le chômage, qui dit la guerre, s’installe durablement dans nos vies. La société, du coup, se fragmente, méchants patrons qui licencient, pauvres gens qui subissent. Et l’Europe là dedans ? Organisatrice des désordres, au mieux par sa passivité ou son incapacité à réguler les flux financiers et à brider les égoïsmes du capitalisme, au pire par sa complicité avec les forces du mondialisme et de la marchandisation généralisée.

Dès lors, l’Europe déçoit. Nous sortons du rêve et nous détestons la réalité. D’où l’abstention, générale et massive dans l’ensemble des pays concernés par cette tentative unique de dépassement pacifique des nationalismes. Cette campagne électorale le montre : l’Europe est morte, non pas dans les faits mais dans les esprits. Cette mort est politique, pas encore clinique. Il est possible que des esprits forts et charismatiques, aidés par des intelligences astucieuses, redonnent vie et souffle à l’espoir. Mais il y faudra un talent qui semble pour l’instant absent de la scène.

De ce premier constat découlent tous les autres. Le désenchantement est général, au moins en France, mais sans doute aussi dans plusieurs autres pays. Le parti majoritaire ne l’est que faiblement, un gros quart de l’électorat. Réunificateur des droites et prétendument vainqueur du Front national, il parvient à un étiage sans rapport avec les exploits précités. Il ne bénéficie ni de la rupture serinée, ni des effets conjugués de l’énergie et de l’action prêtées au président. Pour l’UMP, contrairement aux discours officiels, cette campagne est une déception et une alerte. Sur ce dernier point, d’ailleurs, il faudra surveiller attentivement le score du Front national, peut-être moins moribond qu’on ne le dit généralement.

La gauche française, dans toutes ses composantes, est au moins aussi malade que la droite. Ses divisions sont infinies et renouvelées, la crise de leadership demeure entière et, beaucoup plus grave, la girouette idéologique continue de bouger à tous les vents. Il fallait regarder attentivement l’émission de France 2 hier soir pour constater un changement colossal d’axe de la pensée à gauche. L’homme le plus ménagé sur le plateau, celui dont les intervenants ont dit mille fois qu’il avait raison, que ses raisonnements étaient justes, était Olivier Besancenot. Si son talent personnel lui a permis de s’insérer sans difficulté dans le jeu politique, les hésitations, tergiversations et remords de ses concurrents à gauche sont en train de la placer au centre. La gauche dans l’opposition depuis presque dix ans n’est plus très loin de dire qu’il faut interdire les licenciements en temps de crise et elle se rapproche du moment où elle recommandera de pendre les capitalistes.

La campagne a aussi montré le profond malaise intellectuel dans lequel vit la société française, et dont François Bayrou est le parfait représentant. A force de dire que tout est manipulé, le journalisme sous contrôle, les journalistes des laquais, les sondeurs des vendus, le président de Modem a fini par croire à son propre discours, dont les dégâts sur l’opinion publique sont d’ores et déjà considérables. Résultat : une agressivité et une violence dont chacun a pu constater l’intensité sur le plateau de France 2 hier soir et dont Daniel Cohn-Bendit a été la victime désarçonnée. Répéter à longueur du temps que nous ne sommes plus en démocratie, que l’abus de pouvoir est insupportable et le coup d’Etat permanent, nous éloigne du respect et de l’écoute qui sont la marque de la démocratie.

Au total, cette campagne électorale l’a amplement montré : la société française file du mauvais coton. C’est dans cette matière que souvent s’écrit l’histoire.

Jean-Michel Aphatie
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