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29/6/09 Jean-Michel Aphatie
  La politique peut dormir tranquille en France, ce             n’est pas le journalisme qui la menace !

L’emprunt, l’emprunt, l’emprunt... Le mot est dans toutes les bouches. Personne n’en connaît les détails, de cet emprunt, le montant le taux, l’emploi, mais tout de monde en parle. Formidable, génial. Et surtout, quel artifice, quelle entourloupe, cet emprunt.

La France est fauchée, d’une certaine façon ruinée, par vingt années de politique continue qui a vu à la fois l’accroissement des déficits et la vente de ses biens publics, ces fameuses privatisations dont le fruit a été versé dans le puits sans fonds de nos déficits.

L’emprunt dont on parle tant et tant n’est qu’une marche supplémentaire dans cette descente aux abîmes. L’Etat, qui collecte taxes, impôts, redevances et on en passe, ne peut plus financer les « dépenses d’avenir » en matière d’éducation, de recherche et du reste. La totalité de ce qu’il collecte aujourd’hui ne lui permet même pas d’honorer ses dépenses courantes et ordinaires. Il s’en faut de 150 milliards d’euros en 2009, chiffre du déficit attendu, et il s’en faudra encore de 150 milliards d’euros en 2010, déficit annoncé.

Du coup, comment financer ces « fameuses dépenses d’avenir » ? Déjà, le terme est une trouvaille de communication. Elle rend presque extraordinaire ce qui est ordinaire dans les missions de l’Etat, anticiper, investir, préparer le futur. Pour cela, il n’y a qu’une solution, pas deux : faire de la dépense publique. Mais il y a deux moyens de faire de la dépense publique supplémentaire. Soit on aggrave le déficit. Après tout, au point où nous en sommes, 150 milliards d’impasse budgétaire, une folie, on peut bien creuser encore, vingt, trente milliards. Au moins, c’est franc du collier, les choses sont dites.

Mais la politique est beaucoup plus subtile que cela, l’art du camouflage et du contournement y sont développés comme nulle part ailleurs. Puisqu’il faut dépenser encore et encore, que les caisses sont vides, la présentation des comptes catastrophiques, alors, faisons d’une pierre deux coups, quel talent. Un : lançons un emprunt, c’est patriotique un emprunt, cela sonnera comme un plébiscite, un référendum, et fournira l’argent qui fait si cruellement défaut. Deux : emprunter de manière solennelle et spécifique évite de dégrader les comptes de l’Etat. L’emprunt, tel qu’il est présenté, c’est de la dette et pas du déficit, saisissez-vous la nuance ? Pour les comptes de la nation et le portefeuille du contribuable, c’est kif kif, il faudra toujours rembourser. Mais dans la présentation des comptes, ce sera moins pire.

Voilà donc ce qu’est réellement l’emprunt, une opération de communication d’abord, un subterfuge ensuite, un aveu enfin, celui d’une dégradation spectaculaire de la situation financière de l’Etat français. Ce dernier point, bien sûr, s’explique et se comprend. C’est, avec la montée du chômage, la traduction concrète de la crise, son effet le plus immédiat. Mais plutôt que d’expliquer cela aux citoyens, on camoufle, on planque et cynisme de la politique, on sort les cymbales pour annoncer l’emprunt, youpi !, quelle bringue on va faire grâce à vous, chers Français, donnez-nous votre argent qui dort, c’est pour le bien de la France.

L’histoire est à la fois agaçante et navrante. Comme avant, comme tout le temps, la politique française utilise des artifices médiocres pour éviter de dire la vérité. D’où, ensuite, la frustration et le dégoût et in fine, cette gloriole nationale qui est la révolte contre le pouvoir. Rappelons, parce qu’il faut toujours le rappeler même si tout le monde s’en fout, que la France est le seul pays occidental à ne pas avoir renouvelé sa confiance à un gouvernement depuis les chocs pétroliers des années soixante dix. Dans aucune autre démocratie la méfiance n’a été aussi systématique durant les trente dernières années.

Et ce qui est navrant, c’est la passivité, voire la complicité, voire au fond le manque total de discernement et d’intelligence, avec lequel l’appareil de commentaires accueille tous ces trompe l’oeil de la politique. La politique peut dormir tranquille en France. Ce n’est pas le journalisme qui la menace.

Jean-Michel Aphatie
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