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17/6/09 Jean-Michel Aphatie

Elections en Iran : Obama s’en lave les mains !

La contestation continue en Iran. Cet après-midi, les partisans de Mir Hossein Moussavi vont défiler une nouvelle fois. S’il donne parfois l’impression de plier, l’énigmatique et complexe pouvoir iranien ne semble pas prêt de céder. Dans ce contexte délicat, les grandes diplomaties du monde prennent leurs marques. Les mots, les attitudes, rien ne relève du hasard. Le calcul révèle les hommes, dévoile les valeurs, souligne les intelligences, suggère les lâchetés.

Dans cette affaire, les Russes ne surprennent pas le monde. Depuis hier, Mahmoud Ahmadinejad, ancien et peut-être nouveau président iranien se trouve à Ekaterinbourg, dans l’Oural. Il participe à un sommet de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghaï) et a profité de l’occasion pour faire de belles photos avec le président russe, Dimitri Medvedev. Le seul fait d’accepter de poser sur une photo vaut évidemment acceptation du résultat de l’élection présidentielle iranienne pour la partie russe. Pour qu’il n’y ait aucune équivoque, le ministère des Affaires étrangères de ce pays a fait savoir qu’il regardait la situation actuelle comme une « affaire intérieure iranienne ». Donc, la Russie soutient Mahmoud Ahmadinejad et n’est pas prête à risquer le moindre rouble, ni même un peu de salive pour soutenir, fût-ce moralement, les Iraniens qui défient leur pouvoir.

De manière inattendue, et de façon tout à fait spectaculaire, la Russie a été rejointe sur cette ligne de le neutralité par Barack Obama soi-même, lui-même, tel qu’en lui-même nous ne le connaissons pas encore, politique froid et insensible à l’émotion d’une contestation populaire. Voici les propos de Barack Obama, président des Etats-Unis, prononcés sur la chaîne CNBC et reproduits dans une dépêche AFP éditée à 1h26 ce matin, heure française :

« Ce que je dis, c’est : écoutez, c’est aux Iraniens qu’il appartient de décider. Nous n’allons pas nous en mêler. » « Mon approche, c’est : attendons de voir. » « Je pense qu’il est important de comprendre que la différence en termes de politique réelle entre MM. Ahmadinejad et Moussavi n’est peut-être pas aussi grande qu’on ne l’a dit. »

Cette dernière phrase possède sa dose de bon sens. Le combat oppose en Iran deux partisans d’un pouvoir théologique, deux défenseurs de la possession de l’arme nucléaire, deux nationalistes qui souhaitent conférer à leur pays un rang privilégié dans la marche du monde. Ce qui différencie, en revanche, MM. Ahmadinejad et Moussavi relève d’une conception de la vie en société et, pour autant que l’on puisse en juger d’ici, ce qui n’est pas facile, une approche différente de la liberté individuelle dans une organisation politique islamique. Si le rapport international entre l’Iran et l’Occident ne se trouverait pas fondamentalement bouleversé par l’accession de Mir Hossein Moussavi au pouvoir, le sort des Iraniens, leur vie quotidienne, pourraient être, eux, largement différents. Pour une part, et sans choisir entre les dirigeants, il est difficilement acceptable d’entendre un président américain se montrer à ce point indifférent à des revendications individuelles.

Cette manière de se laver les mains, « nous n’allons nous en mêler », « attendons de voir », est choquante, et inappropriée. S’il ne s’agit pas de suggérer une prise d’armes, on peut au moins attendre du président de la plus grande démocratie mondiale un soutien fût-il minimal aux contestataires, une position simple de critique du processus électoral, l’expression d’un doute quant à la sincérité du scrutin.

Le choix de Barack Obama d’abandonner les Iraniens à leur sort traduit deux choses sûrement plus complémentaires que contradictoires. Le cynisme d’une part, composante indispensable de la vie publique en général et de la diplomatie en particulier, mais que l’on ne gagne jamais à étaler de manière aussi complaisante. Le manque de maîtrise ensuite, de quoi exactement on ne sait trop, soit de ses propres sentiments, soit d’un timing propre à servir une image politique, celle des Etats-Unis défenseurs de la liberté dans le monde, accessoirement la sienne, celle d’un président capitalisant un extraordinaire espoir sur une pratique politique différente. Dans les deux cas, cette sortie choquante montre une part d’Obama que nous ne connaissions pas, qui peut inquiéter, voire décevoir le cercle large des adorateurs du nouveau président américain.

Reste la France. Nicolas Sarkozy a, de Libreville, au Gabon, où il assistait aux obsèques du président Bongo, fait une déclaration qui tranche avec la prudence des uns, les calculs des autres, et la compromission de tous. « L’ampleur de la fraude électorale, a dit le président de la République française à propos de l’élection iranienne, est proportionnelle à la violence de la réaction. »

Les mots sont très forts. On peut penser qu’ils engagent la diplomatie française. Evoquer la fraude électorale et surtout son ampleur revient à dénier la légitimité de Mahmoud Ahmadinejad, et donc à s’engager dans le refus de la reconnaissance de sa réélection. Le choix de tels mots place la France en tête de la contestation. Choix courageux, lourd de responsabilité, mais aussi forme de fierté car des gens trouvent la mort dans les rues de Téhéran pour cette seule raison qu’ils veulent être libres. Ce combat-là, tout de même, mérite deux ou trois jours de soutiens. Peut-être, demain, après demain, rentrerons-nous, nous aussi, dans le rang. Au moins, une fois, des choses sincères et justes auront-elles été dites.

Il faut noter toutefois une singularité dans l’expression du président de la République. Les propos cités, il les a bien tenus. On en trouve trace, notamment, dans une dépêche « urgente » datée de Libreville et diffusée par l’AFP à 16h45. Curieusement, les propos diffusés hier soir sur les principales chaînes de télévision et ce matin sur les radios que j’ai pu entendre, ne sont pas exactement ceux-là. Devant les micros et les caméras, le soutien aux manifestants est exprimé, le doute quant à la sincérité des opérations électorales est présent. Mais publiquement, dans la voix telle qu’on l’entend, le président ne parle pas de « fraude électorale » et n’évoque donc pas non plus son « ampleur ». Il semblerait, rapide enquête faite, que les mots figurant dans les dépêches aient été prononcés avant que les appareils d’enregistrement ne tournent. Ces propos, Nicolas Sarkozy, encore une fois, les a tenus, et tenus publiquement. Mais quand la lumière s’allume, ils différent légèrement. Sauf erreur, et sous réserve d’une preuve qui m’aurait échappé, il ne répète pas le terme de « fraude électorale », et ne la qualifie donc pas, ce qui élargit un peu le champ de la diplomatie pour la suite.

Loin de ces subtilités, qui ont leur importance, des Iraniens courageux défileront encore aujourd’hui pour conquérir leur liberté. Par l’esprit, nous sommes avec eux.

Jean-Michel Aphatie

 

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