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28/4/09 Jean-Michel Aphatie
Ceux que les déficits n’empêchent pas de dormir

63.400 chômeurs supplémentaires en mars. Le chiffre n’est hélas pas une surprise. Onzième mois consécutif d’augmentation du chômage en France, et il devrait en être ainsi tout au long de 2009 ainsi que durant une large partie de 2010.

Les armes pour contrer cette flambée? Faibles. A la déprime des échanges s’ajoute la volonté des industriels et de l’ensemble du monde productif de restructurer leurs entreprises et centres de production pour être le plus opérationnel possible au moment du redémarrage de la croissance. L’ajustement en terme d’emplois risque donc d’être colossal.

Face à la vague de licenciements, les actions pour encourager les embauches risquent d’être faiblement efficaces, marginales et cosmétiques, le plus souvent des armes de communication plutôt que des outils efficaces. Deux exemples. Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’emploi, était l’invité de RTL, ce matin, à 7h50, pour commenter les chiffres du chômage. En écho à l’éditorial d’Alain Duhamel, il a assuré que le nouveau dispositif législatif sur le travail du dimanche serait créateur d’emplois. Difficile à croire, ou à imaginer. Les ressources de consommation, aujourd’hui, doivent à peu près toutes être utilisées. Ouvrir davantage les magasins dans certains secteurs ne devrait pas avoir un impact très significatif.

Deuxième exemple : la baisse de la TVA dans la restauration. Vieille revendication des restaurateurs, vieille promesse du pouvoir politique, du candidat Chirac en 2002, promesse bientôt honorée, bravo. Seulement, la promesse était déjà farfelue, la réaliser aujourd’hui l’est tout autant. Imaginer que baisser la TVA va créer des emplois ou faire baisser la note pour les clients témoigne d’une étonnante naïveté. La restauration est un secteur par nature éclaté, aux agents multiples, incontrôlables, en proie en outre à des difficultés importantes, confrontés déjà à des baisses impressionnantes de chiffre d’affaire. Le petit ballon d’oxygène que va représenter la diminution des taxes leur servira davantage à reconstituer des marges qu’à créer des embauches. Malgré tout, le pouvoir politique veut croire au miracle. Ou il feint d’y croire.

En revanche, la conséquence immédiate de cette baisse de TVA, dont on dit qu’elle pourrait intervenir dès le 1er juillet, tient à une amputation importante des recettes pour l’Etat. Plusieurs chiffres circulent, compris dans une fourchette de 1 à 3 milliards d’euros, ce qui n’est pas exactement une paille. Donc, les déficits budgétaires vont s’accroître. Et cela, dans l’indifférence générale.

Il faut lire à ce propos l’édifiante réponse de Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, dans une interview accordée au journal économique Les Echos. Le leader syndical est interrogé sur les déficits publics. Voici sa réponse :

« Je vais vous dire une chose : le déficit public ne m’empêche pas de dormir. Alors, comment faire? Eh bien, à tout prendre, je préfère le retour à un peu d’inflation plutôt que de devoir travailler jusqu’à n’en plus finir. Par ailleurs, je suis favorable à une grande réforme fiscale. »

Tout est admirable dans cette réponse. D’abord, le si communément partagé : « les déficits ne m’empêchent pas de dormir». Cette situation n’est pas traitée comme un problème, à peine comme un embarras. Les déficits ? Et alors ? Suit ce : « à tout prendre, un peu d’inflation ». La sémantique est révélatrice. « Un peu » d’inflation ne suffira pas, ce sera beaucoup si l’on veut régler le problème. Si les gouvernants entretenaient ce schéma, et beaucoup évidemment l’ont en tête, ce sont les épargnants qui devraient d’ores et déjà s’affoler. Mieux vaut, avec cette pensée, transformer son épargne en investissement dans la pierre plutôt que la laisser à la banque. Mais si de multiples épargnants, captant cette pensée, opéraient ce type de choix, ce serait le système bancaire qui serait en danger, et donc avec lui le financement de toute l’économie.

Suit le dernier membre de phrase sur la « grande réforme fiscale ». Pensée magique, hélas commune, elle aussi. D’abord, une réforme fiscale ne peut être que « grande », pas petite, inutiles les petites réformes fiscales. Soit. L’idée sous-jacente à la « grande » réforme fiscale, c’est qu’elle produira miraculeusement de l’argent supplémentaire, suffisamment sans doute pour équilibrer enfin les comptes de l’Etat. D’où viendra cet argent ? Des « riches » sans doute, vu que les pauvres n’ont pas beaucoup de marge et que les classes moyennes dites inférieures ou présentées comme supérieures supportent aujourd’hui leur part d’effort fiscal. Bref l’idée qui domine cette réponse, et dont l’auteur n’est pas seul propriétaire, c’est celle de la facilité dans laquelle nous vivons depuis trois décennies. Laisser filer les déficits, creuser les trous, se dispenser d’équilibrer nos régimes sociaux, emprunter, emprunter, emprunter, et imaginer au total que nous sortirons de cette nasse sans effort et sans souffrance, avec une « grande » réforme, à la mesure justement de notre si « grand » renoncement, depuis si longtemps, à l’effort et à la rigueur.

Jean-Michel Aphatie

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