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22/9/09 Jean-Michel Aphatie

Clearstream : Où le chevalier a-t-il rangé son cheval ?

L’image est très forte. Elle a pour elle l’effet de surprise, et aussi ce qu’elle dit de culot et de détermination, dans cet ordre, chez Dominique de Villepin. Elle fait partie de ces images dont il est légitimement permis de penser que nous l’avons tous vue, en ouverture du procès Clearstream, hier. Pour mémoire, en voici le texte intégral:

"Nous sommes aujourd'hui le 21 septembre. C'est le jour anniversaire de la République française. C'est aussi le jour dédié par les Nations unies pour la paix dans le monde. J'espère que l'exigence de justice sera au rendez-vous.

Je suis ici par la volonté d'un homme, je suis ici par l'acharnement d'un homme, Nicolas Sarkozy, qui est aussi président de la République française. J'en sortirai libre et blanchi au nom du peuple français. Certains voudraient croire qu'il n'y a pas dans notre pays de procès politique, je veux le croire aussi et pourtant nous sommes ici en 2009 et nous sommes en France.
Je veux redire que mon combat n'est pas un combat personnel, c'est le combat de toutes celles et tous ceux qui se battent contre l'injustice, c'est le combat de toutes celles et tous ceux qui sont victimes de l'abus de pouvoir. La justice est un bien précieux mais c'est aussi un bien fragile qui demande l'engagement de tous. Je sais que la vérité triomphera. Je vous remercie".

Sur l’image, Dominique de Villepin est beau. C’est peut-être la première réflexion que l’on se fait quand on est saisi de sa déclaration, donc par sa déclaration. La beauté ne devrait rien à voir avec l’affaire, mais on ne peut pas s’empêcher de penser cela en le voyant. Il est droit, altier, fier, on le devine tendu et pas du tout ému, dans la bataille et pas dans la colère. Un lutteur. Presqu’une figure des temps anciens, la chevelure du chevalier, on voit presque l’armure, on se demande où il a rangé le cheval.

Et puis, un autre sentiment vient tout de suite perturber le raisonnement. Sa famille est derrière lui. Selon les angles des différentes caméras, on voit la fille, elle est mannequin murmure la mémoire de chacun, qui paraît écouter son père sans parvenir tout à fait à cacher la surprise que paraissent susciter en elle les propos qu’elle entend. Se dit-elle qu’il est courageux ou inconscient ? Admire-t-elle la défense ou s’émeut-elle de la mise en danger ?

D’autres images montrent le visage de sa femme, Laure. Elle maîtrise mieux ses émotions. Elle apparaît détendue. L’est-elle vraiment ? En tout cas, les expériences de sa vie semble lui permettre de gérer la situation avec un peu de calme. Il serait exagéré de dire qu’elle s’amuse de la situation. C’est sans doute faux. Mais sa quiétude apparente suggère qu’elle connaît bien son mari, ses numéros et ses ficelles.

Quelle trouvaille de l’avoir mise derrière ! Réfléchissons une minute. Dominique de Villepin et ses avocats ont bien entendu réfléchi à la scène inaugurale du procès Clearsteam. Entrée discrète de l’ancien premier ministre ou déclaration solennelle ? Déclaration solennelle. Soit. On réfléchit bien sûr au contenu du propos, mais aussi à la forme. Une déclaration solennelle se déclame, on y met du coeur, on ne lit pas de papier, on y met du soi même. Quoi ? Qu’avez-vous dit ? On y met du soi même ? Oui, enfin, on s’engage tout entier. Quelle belle trouvaille ! Voilà comment il faut s’engager dans ce procès : totalement, entièrement, c’est-à-dire pas seul, mais avec les siens, ces autres nous-même avec lesquels nous composons une famille, les enfants issus de nous et la femme avec qui on les a fait.

Voilà comment la famille Villepin, et non Dominique de Villepin, sont entrés dans le procès Clearstream. Les actes, les agissements, réels ou supposés, les accusations, ne concernent que Dominique de Villepin. C’est lui, et pas sa femme, enfin on l’espère, qui a décidé ou pas, agi ou pas, ordonné ou pas, dans ce dossier. Quant aux enfants, jusqu’à plus amples informations, ils n’ont rien à rien à voir avec ce dossier. Autrement dit, ils n’ont rien à faire sur l’image à l’ouverture du procès, mais alors rien de rien. Seulement, ils sont là. Et l’image est têtue: ils sont là pour tout le temps.

Quel message essaient de faire passer Dominique de Villepin et ses défenseurs ? Que c’est l’honneur d’un homme qui est en jeu, un homme que l’on essaie de détruire, j’écris « on » pour la forme, vous savez bien de qui il s’agit, et si l’on parvient à le détruire, on détruira plus que cela, on détruira une famille, unie, soudée, confiante dans l’honnêteté du père et mari.

Ou alors, autre lecture légèrement variante, la famille doit être comprise ici au sens du témoignage de moralité. Nous le connaissons, disent-ils par leur seule présence, il est incapable d’avoir fait le mauvais coup qu’on lui reproche. Trop de valeurs dans la vie de famille, trop de moralité. Impossible qu’il soit coupable. Au vrai, ni la femme ni les enfants, ni moi ni vous d’ailleurs, ne savent rien de ce qu’a fait ou pas fait Dominique dans le secret de ses bureaux successifs. Mais ils posent l’affirmation de l’innocence comme un postulat. Il n’est tout simplement pas possible d’imaginer que... Et ils disent cela en s’épargnant tous les discours, par la seule présence de leurs corps. Voilà fondamentalement une image.

Que change-t-elle au procès ? Rien. C’est cela qui est farce. Elle a beau avoir eu une certaine force hier, elle sera tout de suite dissipée par les témoignages, les dépositions, le récit rocambolesque d’une affaire sournoise, glauque et un peu minable. Les débats montreront la part prise par Dominique de Villepin tout au long de son déroulement. L’audience dira s’il s’est bien comporté, ou moins bien. Mais dans tout cela, c’est certain, l’image ne pèsera rien.

Alors, pourquoi l’avoir faite ? Pour cette seule raison que les hommes vivent un jour après l’autre. Hier, l’entrée dans l’arène était une parade. Réussie, incontestablement. Aujourd’hui et les jours qui viennent, ce sera le combat. Et là, Dominique de Villepin sera seul, irrémédiablement seul.

Jean-Michel Aphatie

 

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