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18/12/08 Jean-Michel Aphatie
                       Bilan 2008

Que reste-t-il de cette année 2008 dans nos mémoires ? Qu’en restera-t-il dans les livres d’histoire ? L’élection de Barack Obama, à coup sûr. Curieux phénomène Obama. L’homme est beau, et c’est cela qui d’abord saute aux yeux, fin, élégant, racé. Il émane aussi de lui une douceur inhabituelle dans la politique, une grande tranquillité aussi, de l’intelligence, c’est évident. L’ensemble séduit, séduit même à un point que l’on pourrait presque en rire.

Que les peuples sont crédules ! Barack Obama pourrait devenir synonyme de perfection, d’idéal, et de tout ce qui nourrit le rêve des hommes. Et pourtant non. Il doit y avoir dans l’histoire de Barack Obama des plaies et des bosses, du relief et des accidents, des tromperies et des combines. Imaginez donc qu’il a fait toute sa carrière politique à Chicago, dans l’Illinois, où il semblerait, à lire certains papiers - personnellement, Chicago, connais pas - que l’appareil démocrate qui contrôle la ville depuis soixante ans est plus vermoulu que le toit d’une vieille bâtisse abandonnée.

Malgré tout, ce qui reste du personnage apparaît exceptionnel. La presse américaine, cette presse vénérée, a-t-elle fait son travail ? A-t-elle cherché pour lui comme elle a cherché pour d’autres ? Si oui, alors, il faut s’incliner, Barack est parfait. Sinon, alors il faut s’interroger. Par quels mécanismes de la pensée une collectivité construit-elle un mythe ? Comment répond-elle à ce besoin spontané de croire, que n’effacent pas de longues décennies d’éducation populaire ?
 

Une autre remarque à ce propos. Nous sommes en France, en Europe, et pas aux Etats-Unis. Il est toujours difficile de se faire une idée exacte d’un individu, d’un parcours, d’une proposition quand on ne partage pas la vie quotidienne des femmes et des hommes à qui s’adresse le leader. Eux ont en partage une culture, des connaissances, une existence, que nous regardons de l’extérieur. Par exemple, les Américains, quand ils le connaissent, s’imaginent peut-être que Nicolas Sarkozy, président de la République française, est une boule d’énergie et de décision, toujours en mouvement et perpétuellement à sa tâche. Nous savons nous, parce que nous partageons sa vie publique, que parfois l’action est brouillonne, le verbe lassant et l’exposition du « moi » et du « surmoi » fatigante.
 

Barack Obama, 2008. En fait, on s’en de moque de 2008. Ce qui compte, c’est quand il sera président, donc 2009 et à suivre. Nous avons déjà quelques indices qui peuvent nous permettre de juger autrement l’homme que comme un individu de carte postale.
Deux éléments. D’une part, l’équipe qu’il constitue. Cet homme qui voulait tout changer, et qui peut-être changera tout, s’entoure de toutes les vieilles barbes du clintonisme. C’est un peu comme si chez nous, Nicolas Sarkozy, qui avait promis la rupture, avait nommé, devenu président, un vieux chiraquien des années soixante-dix à Matignon ou une ancienne présidente du RPR à l’Intérieur.

En tout cas, le retour des boys and girls de Bill Clinton est impressionnant, à tous les niveaux de la nouvelle administration américaine. Ce constat a quelque chose de décevant. Clinton, au sens strict, c’était l’autre siècle. Clinton, au sens factuel, c’est le début de la constitution du mensonge économique américain, argent pas cher, bulles spéculatives multiples, qui ont toutes éclaté quand le prix des matières premières a décuplé, éclatement qui secoue aujourd’hui la planète entière et menace de la faire dérailler. Pas d’équivoque : la suite, avec George Bush, a rajouté la médiocrité à l’égoïsme américain.

Depuis le début de la crise, et même s’il n’est pas en fonction, Barack Obama a suggéré quelques-unes des solutions qu’il pourrait mettre en oeuvre pour tenter de juguler les catastrophes qui s’annoncent. Pour ce que l’on a perçu de ce côté- ci de l’Atlantique, les réponses paraissent bien conventionnelles. Des milliards de milliards de dollars sont avancés, alors même que le pouvoir américain pas plus que les autres n’en possède le premier centime. Ce classicisme des réponses ne doit pas être reproché au nouvel élu des Etats-Unis. Il est juste mentionné ici pour signifier une fois encore, mais nous sommes indécrottable, que la politique n’est pas miraculeuse, et donc qu’il n’existe pas de faiseur de miracles. Assez souvent, d’ailleurs, Barack Obama le dit. Nous ne percevons pas ou mal les nuances de son discours, mais plusieurs fois, il a indiqué que le chemin serait long, difficile, douloureux. C’est bien là qu’est sa séduction principale. C’est homme a l’air sincère, honnête. Ce sentiment est tellement rare sur la scène politique que nous ne nous demandons même plus s’il est normal, voire même admissible, qu’il soit si rare.

La crise économique marque donc de son empreinte la fin de 2008. Elle plombera à coup sûr, 2009. Cette crise ne ressemble à rien de ce que nous avons connu auparavant. Comme souvent d’ailleurs nous nous en racontons mal les origines. Nos penchants culturels, voire nos travers, désignent les financiers comme principaux coupables. Ils n’en ont pourtant été que les accélérateurs, les amplificateurs. Le vrai déclencheur fut économique et non financier. C’est l’augmentation faramineuse de toutes les matières premières qui a commencé à déréguler l’artificielle croissance de l’économie, et c’est là-dessus que se sont greffées les conséquences des endettements faramineux des ménages. La mécanique dès lors s’est grippée. Peu à peu, ce sont tous les agents économiques, dans tous les secteurs, et dans tous les pays de la planète qui ont procédé à des arbitrages similaires : réduction des dépenses, révision à la baisse des investissements. Chaque marché se trouve ainsi en phase de réduction et, maillon après maillon, chaque intervenant, sur chaque marché, produit moins d’activité, et donc moins de richesse.

Une image, peut-être, permet de comprendre la nature de la crise économique que nous vivons. Figurons-nous l’économie mondiale comme un immense train qui perd progressivement de sa vitesse et qui, inéluctablement, va s’arrêter. Ce train perd progressivement de son énergie, il n’a plus de combustion, et bientôt, ses passagers - six milliards d’être humains quand même - se trouveront à l’arrêt, hébétés, un peu perdus dans la très vaste plaine où le train vient de s’arrêter. A l’intérieur du mécanisme de ce train gigantesque, les pièces qui assuraient le mouvement sont pliées, froissées.

Quelques-uns d’entre vous ont-ils lu, cette semaine, dans la presse économique, ce papier à la fois technique et théorique qui révélait que sur le seul plan des normes comptables, la FED, la banque fédérale américaine, devrait être déclarée en faillite ? Les raisons de cette situation sont assez simples à résumer. Depuis six mois, la FED a inondé le marché américain de dollars qu’elle a fabriqués. En contre partie, elle a stocké des valeurs que la tempête boursière a considérablement dépréciées. Aujourd’hui, les actifs de la FED sont d’un niveau tel que la banque centrale pourrait être techniquement déclarée en faillite.

Dans la vraie vie, cela n’arrivera pas. Ce constat toutefois nous renseigne sur ce que nous pourrons vivre. Les institutions financières, privées, publiques, risquent d’agoniser sous l’effet d'apesanteur que provoquera l’arrêt du train de l’économie. La ruine pourrait bien être de même nature que la crise, mondiale ou mondialisée. Et ce sera le seul moyen de repartir. Une économie ruinée, ce sont aussi des prêteurs ruinés. Nous avons connu cela à d’autres moments de l’histoire des hommes. Les Etats endettés reblanchiront leurs livres de compte. Ce sera un nouveau départ. Le grand pari historique, ce sera peut-être de gérer cette transition sans que s’intercalent la guerre, les conflits et les violences. Cela, les hommes n’ont jamais su le faire. Le saurons-nous, si pleins que nous sommes de la sagesse de l’expérience, mais hélas si vite oublieux de ceux que nos aînés ont connus?
 

2008 aura aussi été l’année du naufrage du socialisme. Ceci est relatif et circonscrit à notre bonne vieille France. Il ne s’agit pas là d’un événement mondial mais d’une péripétie franco-française. Lancés dans une interminable procédure de congrès, les socialistes français, derniers des Mohicans d’une mohicanerie qui n’est plus planétaire depuis longtemps, ont été incapables de dire en quoi, comment, pourquoi, ils étaient socialistes. Ceci se définit-il par rapport à la propriété des moyens de production ? Ou bien dans la répartition des richesses produites ? Ou bien grâce à un autre critère dont seuls quelques initiés ont connaissance ?

Le socialisme aujourd’hui ne peut être défini par la seule volonté de justice sociale, car personne n’est pour l’injustice. Par la seule générosité, car personne n’est pingre. Par l’amour des ouvriers, parce que tous le monde les aime. Pour dire les choses plus sérieusement, le socialisme ne peut pas être présenté comme un sentimentalisme, car la politique n’est pas affaire de sentiments, mais de réalités, de technicités, de combinaisons d’intérêts divers et contradictoires. Le socialisme, s’il existait, devrait être une forme de science humaine. Or, les scientifiques qui se sont retrouvés à Reims au mois de novembre se sont enivrés de leur propre fumée et n’ont à cette heure rien produit de tangible qui justifie leur appellation maintenue de socialistes.

Et le sarkozysme, que fut-il en 2008 ? Une succession d’agitations et de réformes périphériques. Une impasse sur les problèmes structurels de la société française. Une énergie euphorisante dans la gestion des affaires européennes, avec ce bémol que cette année fut aussi celle de la fracture avec notre partenaire historique, qui fut avant cela notre ennemi héréditaire, l’Allemagne, que nous devrions mieux aimer et davantage respecter.

2008 fut une année politique dure. L’histoire des hommes est ainsi faite, de drames et de pleurs, qu’elle nous paraîtra peut-être douce en regard des deux ou trois millésimes à venir.

Jean-Michel Aphatie

 

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