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27/4/09 Jean-Michel Aphatie
Pour ce qui est des finances publiques, nous sommes                         d’authentiques Anglais

Les crises s’accumulent, se cumulent, se superposent, s’additionnent d’une manière totalement inédite dans l’histoire d l’humanité. Comment les historiens de demain nommeront-ils cette décennie du début de siècle ? Quelle appellation trouveront-ils pour rendre compte de l’extrême péril que nous encourrons aujourd’hui ?

Les crises ? Celle de l’économie, bien sûr, multisectorielle et mondiale, mettant en cause l’idée même du seul système performant que l’homme ait su inventer jusqu’ici, le marché régulé - il en a inventé d’autres, mais tous catastrophiques. Crise sanitaire : cette grippe porcine, dernier avatar d’une catastrophe dont les scientifiques disent depuis des années que la question n’est pas de savoir si elle surviendra, mais quand elle surviendra. Et par dessus tous ces dangers, la crise des crises, la planète qui regimbe sous l’effort, le climat qui se dérègle, l’eau et l’air que l’activité des hommes a gravement, si ce n’est irrémédiablement, pollués.

Ces périls-là, inconnus dans leur ampleur et leur conjugaison, nous les abordons aussi avec des armes dont nous ne disposions pas auparavant. Les connaissances scientifiques et techniques permettent des diagnostics d’une précision inconnue jusqu’ici. Le savoir technologique suggère des espoirs de réponses à la hauteur des défis. Et la conscience même des hommes est un atout dans ce moment critique de notre histoire. Quelques décennies plus tôt, des crises d’une certaine ampleur suggéraient aux gouvernants des réponses guerrières, agressives, la désignation artificielle d’ennemis, que les réflexes d’antan et la faible éducation des peuples permettaient de faire partager au plus grand nombre. Aujourd’hui, ce type de discours est plus difficile à élaborer, nettement plus difficile, ce qui n’autorise pas pour autant à écrire qu’il est impossible ou inimaginable.

Aucune crise n’est négligeable, et parce que toutes les manifestations de faiblesse ou de désordre des sociétés s'agrègent les unes aux autres, chacune mérite d’être pointée. Depuis plusieurs jours, les articles fleurissent dans la presse française, inspirés par la pensée des économistes et les propos des responsables politiques, sur l’état des finances publiques britanniques. Le problème n’est pas mince, car il est inimaginable de penser affronter les crises évoquées précédemment avec une trésorerie en désordre. Or, rien ne va plus à Londres. Une explosion de la dépense publique, décidée pour faire face à l’affaissement du système financier et à ses conséquences industrielles, met à mal les équilibres budgétaires. Le déficit budgétaire des deux prochaines années atteindra 12 % du PIB et la dette, cumul des déficits annuels, pourrait culminer à 80% du PIB.

Compte tenu de ces chiffres, l’Etat britannique a eu du mal à souscrire un emprunt au mois de mars. Le débat public tourne désormais autour de la possibilité de voir ce grand pays appeler prochainement le FMI à la rescousse. Cette situation a suggéré un papier à la rédaction du Figaro, vendredi dernier. Le titre : « Sondage: la descente aux enfers de Gordon Brown » Et le sous-titre : « Les conservateurs menés par David Cameron s’envolent dans les sondages, mais risquent de prendre le pouvoir avec des finances publiques dans un état catastrophique ».

Tout cela est juste et ne mérite aucune critique. Pourquoi alors le mentionner? Parce qu’en lisant ce sous-titre, vendredi dernier, une question s’est imposée à mon esprit. Comment qualifierions-nous, si nous devions le faire, si nous étions obligés de le faire, l’état des finances publiques françaises ? Il m’est souvent reproché d’exagérer, ou bien de focaliser abusivement le raisonnement sur le déficit, qui n’est pas forcément en soi une mauvaise chose, et tant d’autres arguments susceptibles de nous renforcer dans l’admiration de la créativité de l’esprit humain, et aussi dans son inépuisable capacité à cacher la poussière gênante sous les tapis et la tête dans le sable.

Quoi qu’il en soit des idées des uns et des autres, reste le problème : quel qualificatif mérite l’état actuel des finances publiques en France ? Rappelons quelques données objectives et non polémiques. Le déficit annuel est estimé pour 2009 à 5,6 %, cela dans l’hypothèse d’un PIB en régression de 1,5 %. Or, nous savons tous que la régression sera plus forte que l’hypothèse gouvernementale, au moins 2,5 %, peut-être et sans doute 3 %. Même en partant de ces configurations basses, la Cour des comptes prévenait qu’à l’horizon 2012 la dette publique française, produit de l’ensemble des déficits accumulés depuis trente ans, avoisinerait les 80 %. Tiens, tiens, tiens...

Ajoutons, pour compléter le tableau, qu’en France, contrairement à d’autres pays, et notamment la Grande-Bretagne, le niveau de fiscalité est déjà très élevé, et celui des dépenses publiques aussi. Cela réduit considérablement la marge de manoeuvre des gouvernants. Difficile, d’une part, d’augmenter encore les impôts de manière significative en France. Délicat, d’autre part, de couper dans les finances publiques quand un large pan de la société vit uniquement grâce à la dépense publique.

Compte tenu de tout cela, plus de l’état de la météo et de l’âge du capitaine, comment est-ce donc que nous pourrions qualifier l’état des finances publiques en France ?
Est-il bon ? Moyennement bon ? Passablement bon ? Un peu mauvais ? Simplement mauvais ? Mauvais ? Ou bien, ici comme ailleurs, catastrophique ? Personnellement, et sans surprise, je crois que seul le dernier qualificatif corresponde à la situation. Mais même au-delà du débat, juste ce constat : nous nous abstenons, dans le débat public, de qualifier nos finances. Mais nous le faisons allégrement pour les autres pays. Voilà qui est intéressant. Qualifier ailleurs et pas ici est une autre manière de dire que nous nous pensons et vivons comme à l’abri de la crise, avec l’idée que nous savons pourtant fausse que la crise est ailleurs et pas ici.

Notre premier et pire ennemi, à nous, Français, c’est notre culture, qui nous fait voir le monde tel que nous l’imaginons et le rêvons parfois, et non pas tel qu’il est, cruel et dangereux pour le peuple que nous sommes, inadapté aux temps actuels.

Jean-Michel Aphatie

 

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