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7/3/09 Bernard Martoïa
L’analyse graphique du marché indique que nous                    sommes au bord du gouffre

« Il est dangereux de laisser entrer le public dans les coulisses. Il est facilement désillusionné. Il vous en voudra parce que c’est l’illusion qu’il aimait. » William Somerset Maugham (1874-1965).

La descente aux enfers se poursuit. L’indice Dow & Jones a encore reculé cette semaine: de 7032 à 6626 points. Il a enregistré une baisse plus forte que la semaine dernière : 5,7 % au lieu de 4,5 %. La semaine a été marquée par deux événements : un rebond technique à Wall Street au cours de la séance de mercredi et l’annonce, vendredi, de 651.000 chômeurs supplémentaires pour le mois de février. A une heure de la clôture du marché, l’index était à 6490 avant de rebondir à 6626 points. La ligne de 6500 points est cruciale. C’est un plancher vieux de douze ans. Si l’index le casse, le prochain support est à 4000 points. Autrement dit, nous sommes au bord d’un gouffre. Soit le marché se stabilise sur ce vieux support, soit il capitule. Comme le capitaine d’un aéronef prévenant les passagers d’attacher leurs ceintures avant d’entrer dans une zone de turbulence, il faut se préparer à un décrochage violent de tous les indices boursiers de la planète si Wall Street enfonce ce plancher vieux de douze ans. La semaine prochaine sera décisive.

D’ores et déjà, la crise actuelle est la plus grave de l’histoire après celle de 1929.

L’index vedette a perdu 54 % de sa valeur depuis le zénith du 9 octobre 2007. Jusqu’à présent, les gouvernements et les médias officiels se sont refusés à envisager le pire. Ils comparent la crise actuelle à celle de 1982, consécutive à la montée brutale des taux directeurs de la Fed pour tuer l’hydre de l’inflation, ou à celle de 1974 après le premier choc pétrolier. Le spectre de la Grande Dépression se dessine, pour peu que l’on s’intéresse à l’histoire économique. Pour mémoire, l’index avait perdu 89 % de sa valeur (de 380 à 43 points) en l’espace de 34 mois (du 3 septembre 1929 au 8 juillet 1932) Si ce scénario catastrophique devait se répéter, l’abysse ne sera atteint que le 9 août 2010 avec l’indice Dow Jones avoisinant les 1600 points…

Les démocrates sont tout autant désemparés que les républicains face à l’ampleur des déchets toxiques.

Après l’antienne du « Yes, we can ! » entonné par le président lors de sa campagne, les démocrates sont pris d’un doute : « Est-ce que le président savait vraiment ce qu’il convenait de faire pour régler la crise lorsqu’il s’adressait aux électeurs ? » Pour ma part, je considère qu’Obama a utilisé une vieille ficelle de la rhétorique pour se faire élire. Il n’aurait pas pu gagner l’élection s’il avait concédé qu’il était dépassé par les évènements. Son adversaire a eu la même attitude irresponsable envers les électeurs américains.
Deux éditorialistes et non des moindres du New York Times ont tiré, cette semaine, la sonnette d’alarme.

Dans son papier du 4 mars 2009, Thomas Friedman écrit : « Je crains que tout son premier mandat (Obama) soit pollué par Citigroup, A.I.G, Bank of America, Merrill Lynch, et toute la bulle immobilière des subprimes que nous avons gonflé pendant vingt ans. » […] Nationaliser Citigroup peut paraître bien sur le papier, mais mettre Citigroup sous règlement judiciaire pourrait déclencher tout un tas de non-paiement des contrats de produits dérivés qu’il a souscrits. C’est peut être inévitable, mais nous ferions mieux de comprendre tous les risques des contreparties de Citigroup pour ne pas déclencher, par mégarde, plus de faillites en cascade, à la Lehman Brothers. Pour le moment, l’équipe d’Obama semble préférer une approche graduelle qui consiste en des transfusions de sang aux banques malades. La Fed et le Trésor semblent essayer de donner à ces banques suffisamment de capital pour survivre les deux prochaines années, alors qu’elles sont engagées dans un processus de réduction des risques de leurs avoirs (deleverage), et ils espèrent s’en sortir pour le mieux. »

Dans son papier du 6 mars 2009, Paul Krugman, le gourou des Keynésiens, a écrit, pour une fois, quelque chose de sensé : « Le mois dernier, dans son grand discours au Congrès, le président Obama a argué en faveur de grandes actions pour résoudre le dysfonctionnement des banques. Il a déclaré : « Je peux vous assurer que le coût de l’inaction sera beaucoup plus grand, car il pourrait peser, dans une économie cahotante, pendant des mois ou des années, voire même une décennie. » Beaucoup d’analystes sont d’accord. Mais parmi les gens à qui je parle, il y a un sentiment grandissant de frustration, ou même de panique, concernant l’échec de monsieur Obama à passer des mots aux actes. La réalité est que lorsqu’il s’agit de traiter des banques, l’administration d’Obama tergiverse. Voici comment cela se passe : d’abord, des officiels, parlant hors des micros, lancent l’idée de venir au secours des banques. Ce ballon d’essai est rapidement dégommé par des commentateurs informés. Puis, quelques semaines après, l’administration lance un nouveau plan. Ce plan est, toutefois, juste une version déguisée du plan précédent, un fait rapidement réalisé par tous ceux qui sont concernés. Et le cycle continue… Pourquoi les officiels continuent-ils à offrir des plans que personne ne trouve crédible ? Parce que les hauts responsables de l’administration d’Obama et de la Fed sont convaincus que les avoirs douteux, souvent appelés de nos jours « déchets toxiques », valent beaucoup plus que ce que les gens sont prêts à payer, et si ces actifs étaient proprement évalués, nos problèmes seraient réglés. »

Cela est à rapprocher d’une déclaration faite par Timothy Geithner, le nouveau secrétaire du Trésor, dans laquelle il a fait une distinction entre la valeur fondamentale et la valeur artificiellement déprimée de ces avoirs douteux. Les titres adossés aux prêts hypothécaires, même ceux qui bénéficient du triple AAA des agences de notation, s’échangent à moins de 40 centimes de dollars. Le secrétaire du Trésor pense qu’ils valent beaucoup mieux que cela. Mais comment faire changer d’avis un marché devenu très méfiant à leur égard ? Chat échaudé craint l’eau froide.

Le montant des produits dérivés en circulation est peut être le plus grave sujet d’inquiétude

C’est la raison pour laquelle l’administration Obama ne peut pas se permettre de nationaliser les grandes banques. Thomas Kostigen est un analyste de MarketWatch. Dans un papier du 6 mars 2009, son titre est révélateur du désarroi de Wall Street : « L’éléphant de 700 trillions de dollars », avec en sous-titre : « Le marché gargantuesque des dérivés pèse sur tout le reste. » Voici ce qu’il écrit :
« Les contrats dérivés représentent 700 trillions de dollars en montants « notionnels » selon la Banque des Règlements Internationaux. Ces contrats sont comptabilisés en valeur notionnelle parce que personne ne peut dire combien ils valent vraiment. Mais les évaluer correctement est exactement ce que nous devrions faire parce qu’ils ont propagé le virus qui a infecté les marchés financiers et les économies du monde. Essayer comme nous le faisons de sauver le marché de l’immobilier représente au plus 23 trillions de dollars en Amérique. Nous nous efforçons de sauver le marché des actions, mais qui est évalué aujourd’hui à moins de 15 trillions de dollars. Et nous espérons sauver l’entière économie américaine du désastre, alors que le PNB s’élève à peine à 14.2 trillions de dollars. Comparer cela au marché des contrats dérivés et vous pouvez voir que nous sommes juste en train de fermer les fenêtres alors qu’un tsunami s’apprête à dévaster la côte. Le montant total de tous les marchés d’actions dans le monde représente moins de 50 trillions de dollars, selon la fédération mondiale des échanges. Il est sûr que le marché des produits dérivés est international, mais le problème provient des contrats associés au marché américain de l’immobilier. Ces contrats ont été montés sur la base de variables liées à leur valeur. Peu savent ce qu’ils valent aujourd’hui. J’ai parlé avec un trader qui brasse des milliards de dollars et elle m’a dit qu’elle ne pouvait même pas évaluer son portefeuille personnel parce que personne ne sait la contrepartie du marché. La valeur d’un contrat dérivé est déterminée par l’argent que quelqu’un est prêt à payer pour ce contrat. La valeur est basée sur un scénario artificiel que X vaudra Y si Z s’engage. Enlevez cette fantaisie et la réalité de la situation est celui de la chaise musicale, sans aucune chaise ! Voici pourquoi la musique a cessé de jouer. »

Le sauvetage du marché de l’immobilier est un cautère appliqué sur une jambe de bois. Imaginons, comme le souhaite l’administration Obama, que des prêts hypothécaires soient revendus avec une décote à des acheteurs secondaires, alors toutes sortes de produits dérivés fous inventés par les mathématiciens seront inévitablement dépréciés à leur tour. Il n’y aura donc plus de corrélation entre ces contrats dérivés et la valeur du marché immobilier à laquelle ils sont adossés.

C’est le pot de terre contre le pot de fer, avec d’un côté un PNB américain de 14.2 trillions de dollars, et, de l’autre, un marché de produits dérivés de 700 trillions de dollars.

Bernard Martoïa







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